Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/179

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Le Rajah resta avec le Dom. Ils se nourrissaient de baies et de racines, car ils avaient rarement un cadavre à noyer. Et les gens qui arrivaient jusqu’à l’étang du Dom étaient des gens si pauvres qu’ils ne pouvaient souvent donner qu’une pièce d’étoffe ou huit annas. Mais le Dom était très bon pour le Rajah ; il soignait ses horribles plaies comme s’il accomplissait un devoir naturel.

Et voici qu’il y eut un grand temps de prospérité pour la contrée. Le ciel était bleu, les arbres en fleur. Les gens ne voulaient plus mourir. Le Dom criait misérablement de faim, à demi-enseveli dans la boue séchée.

Le Rajah vit alors venir vers l’étang une femme âgée, portant le corps d’un jeune garçon. Le cœur du Rajah battit, et il reconnut son fils, son fils qui était mort. Le cadavre était maigre et exsangue ; on pouvait compter les côtes le long de la poitrine ; les joues du fils du Rajah étaient creuses et couleur de terre ; on voyait qu’il était mort de faim.

La Rani reconnut le roi et se dit : « Il noiera le cadavre de son fils sans prendre d’argent. »

Le pauvre Rajah se traîna à genoux jusqu’au corps maigre et pleura sur sa tête. Puis il eut pitié du Dom et dit à la Rani :

— Il faut que tu me donnes huit annas pour noyer mon fils.

— Je suis pauvre, dit la Rani, je ne puis les donner.

— Peu importe, répondit le Rajah, va ramasser des