Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Sitôt que la vie humaine parut intéressante par son développement même, qu’il fût intérieur ou extérieur, le roman était né. Le roman est l’histoire d’un individu, qu’il soit Encolpe, Lucius, Pantagruel, Don Quichotte, Gil Blas ou Tom Jones. L’histoire était extérieure plutôt avant la fin du siècle dernier et Clarisse Harlowe ; mais pour être devenue intérieure, la trame de la composition n’a pas changé. Historiola animae, sed historiola.

Les tourments de l’âme avec Gœthe, Stendhal, Benjamin Constant, Alfred de Vigny, Musset, devinrent prédominants. La liberté personnelle avait été dégagée par la révolution américaine, par la révolution française. L’homme libre avait toutes les aspirations. On sentait plus qu’on ne pouvait. Un élève notaire se tua en 1810, et laissa une lettre où il annonçait sa résolution, parce qu’à la suite de sérieuses réflexions il avait reconnu qu’il était incapable de devenir aussi grand que Napoléon. Tous éprouvaient ceci dans tous les rayons de l’activité humaine. Le bonheur personnel devait être au fond des bissacs que chacun de nous porte devant et derrière lui.

La maladie du siècle commença. On voulut être aimé pour soi-même. Le cocuage devint triste. La vie aussi : c’était un tissu d’aspirations excessives que chaque mouvement déchirait. Les uns se jetèrent dans des mysticismes singuliers, chrétiens, extravagants, ou immondes ; les autres, poussés du démon de la perversité, se scarifièrent le cœur, déjà si malade, comme on taquine une dent gâtée. Les autobiographes vinrent au jour sous toutes les formes.

Alors la science du XIXe siècle, qui devenait géante, se mit à envahir tout. L’art se fit biologique et psychologique. Il devait prendre ces deux formes positives, puisque Kant avait tué la métaphysique. Il devait prendre une apparence scientifique, comme au XVIe siècle il avait pris une apparence d’érudition. Le XIXe siècle est gouverné par