Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tête enfouie sous les scabieuses et le chèvrefeuille ; hommes et femmes s’accroupissaient sur leurs manteaux au bord du champ, dans le fossé du chemin. On débouchait une amphore qui circulait à la ronde, tandis qu’on mordait dans un morceau de pain beurré de crème, ce qui rendait le vin meilleur. Les bœufs dételés paissaient tranquillement sur les bouts de gazon que le feuillage d’un chêne avait protégés de l’ardeur du soleil ; leurs larges naseaux semblaient humer la terre ; ils saisissaient l’herbe avec leur langue rugueuse et la mâchaient lentement en regardant devant eux, leurs grands yeux figés dans l’indifférence. Puis tout s’anéantissait sous la méridienne ; on sommeillait doucement, étendu sur l’herbe. Les dormeurs, éperdus de chaleur, remuaient les bras et soupiraient violemment ; les femmes se couvraient la figure de leurs fichus, et les hommes de leurs « mappæ » ; les genoux des bœufs se pliaient sous eux, et ils reposaient aussi, couchés à terre.

Quand le soleil, dépassant le zénith, commençait à incliner ses rayons, que l’ombre courte des arbres et des haies s’allongeait encore, tout ce monde endormi s’agitait de nouveau pour se remettre au travail. Et les bœufs traînaient leurs chariots, les moissonneurs tranchaient leurs épis, liaient et transportaient les gerbes ; les femmes riaient encore et les gars les chatouillaient de plus belle jusqu’au coucher rougeâtre derrière les cimes violacées, jusqu’à ce que le chaume vide des guérets eût crépité sous le