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LA RÉVOLUTION — Les chauffeurs


Fanchon-la-Poupée


Je fis connaissance de cette fille en 1789. Et malgré les terribles événements qui m’ont privé de mes biens et de ma patrie, malgré quinze années traînées dans cette ville d’Allemagne où il pleut sans cesse, où j’ai froid et faim, son souvenir me cause encore un trouble étrange. J’aime à me figurer, au milieu des filles blondes, de peau rouge et de corsage mou qui m’entourent, sa forme gracieuse, ses membres nerveux, sa chevelure noire et ses yeux pleins d’ombre. Elle avait une voix douce et railleuse, de charmantes manières. C’était une fille bien au-dessus de sa condition. Ici les servantes d’auberges lapent dans votre verre et vous écrasent sur la bouche leurs lèvres peaussues, en vous donnant à boire. Mais cette jolie ravaudeuse avait fréquenté dans le monde ;