Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/236

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être un garçon de cœur — mais qu’il devait sentir la pipe et le vin de barrière. Un chapeau de dentelle, une robe à falbalas, du beau damas, des rubans pour attifer le tout ; quelque petit diamant de prix au doigt, quelque couple de perles aux oreilles, — et l’excellent La Tulipe irait conter ses peines au tambour La Ramée, en buvant un coup de bran-de-vin.

Mais Fanchon — c’était le nom de la jolie ravaudeuse — secouait la tête en riant. Cette fille me parut une sorte de bizarrerie philosophique, une espèce de fée Diogène qui voulait rester dans son baquet, tandis que le monde allait à vau-l’eau. J’eus l’idée de la faire causer : elle parlait d’un fort bon langage ; quoique ravaudeuse elle n’avait point l’horrible ton des Halles et son goût était fortifié par quelque lecture, ce qui me surprit. J’eus le soin de fendre tout le côté de mon bas, à quelques jours de là, pour revoir Fanchon la ravaudeuse. Elle avait les yeux rouges et répondit à peine aux questions que je lui fis. Je la pressai de demandes ; enfin, elle avoua que La Tulipe m’avait vu avec elle.

« Il m’a saboulée, monsieur, » me dit-elle en sanglotant ; et ce mot, que sa vive émotion fit échapper, me donna à entendre toute l’influence que l’affreux La Tulipe possédait sur cette jolie fille.

« Ce sont les autres qui lui apprennent, continua ma tendre ravaudeuse : il n’a pas plus de rancune qu’un agneau. »