Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/257

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les grandes lames qui se brisent, et des fois, le jour, les paquets d’embrun viennent jusque sur la table à détailler, quand on a vent d’ouest. C’est un bruit qui tire les pensées tristes du fond de vous-même, et vous ramène dessus sans qu’on puisse s’en dépêtrer ; si bien qu’elles seraient amères comme du fiel, il faudrait rester à les remâcher pendant des heures. Pourquoi je ne disais rien à ma femme, c’est que j’aurais eu l’air de lui faire reproche du bien qu’elle m’avait apporté. Seulement elle est fine, ma femme, et rusée, et elle sait vous retourner, et elle voyait bien du coin de l’œil que ça n’allait pas comme ça devrait ; un matin elle me regarde un peu de temps et puis elle me dit :

— Mathurin, tu ne veux donc pas dire à ta Jacquette ce que tu as ?

Juste comme je me retourne, je la vois sourire, avec deux fossettes dans son menton, et ça me rappelle le sourire de la première fois — mais patience.

Tout ça me remonte à la tête, et je la tiens serrée contre mon cœur — ça se trouve bien, c’est mon bras gauche, et je lui répondis : « Si, ma Jacquette, ne te fais pas de peine, je m’en vais t’expliquer. Je ne veux pas que le gars plus tard se croie le fils d’un bourgeois épicier, qui n’a jamais rien fait de sa vie que mettre du café dans un moulin à moudre et verser de l’huile d’œillette dans les burettes ; il ne voudrait jamais travailler ; ce ne serait pas un vrai