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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/264

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jaune brillait dans les branches : ça faisait un rond éclairé sur la neige, et tout autour elle était bleue. Puis, prenant la baïonnette, je lâchai un coup de fusil et je courus à perte d’haleine jusqu’à la maison. Ce fut un remue-ménage ; des Wer da ? Was ist das ? Sacherment ! Schnell, heraus ! Un cliquetis d’armes. Une décharge sur ma lanterne. Par la lucarne, je vis que le sous-lieutenant et le sergent étaient dans la bagarre. Je ne fis qu’un bond à la porte, et je sautai dans la salle ; un coup de tête breton dans l’estomac du premier soldat ; un coup de baïonnette dans le ventre du second ; tout de suite je coupai les cordes des deux paysans et je leur dis : « Pas une minute, courons ! »

Quelques secondes après nous galopions dans la neige, par les champs. Mais on nous avait vus : trois taches noires sur un tapis blanc. J’entendis des holla ! et des balles sifflaient sur nos têtes ; tout à coup je sentis comme un grand coup de garcette à mon bras droit, et il tomba tout de suite, très pesant, sur mon côté. Je soufflai aux deux autres : « Derrière la haie, dans le fossé. »

Nous y tombâmes tous trois, sous l’averse de neige. Les Prussiens nous cherchaient droit devant : les flocons pleuvaient si serrés qu’on ne voyait plus nos pas. Mais nous sommes restés là toute la nuit, dans un froid mortel : mon bras était engourdi ; le sang qui encroûtait ma manche, noir et gelé. Le matin, notre bataillon qui poussait en avant, pour