Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/49

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Le canot vola sur les vagues moutonnantes. La crique de Port-Eau ne parut bientôt plus qu’une échancrure sombre ; devant s’étendait la baie de Bourgneuf, peuplée de lames à tête frisée. Au fond, à droite, une lumière rougeâtre s’éclipsait à intervalles réguliers ; elle paraissait de temps en temps par les trouées de la pluie fine.

« C’est une nuit, celle-là ! dit le Vieux, en se coupant une chique à la lueur du fanal. C’est une nuit sans lune. On aura besoin d’ouvrir l’œil, si on double Saint-Gildas. Ces fraudeurs-là, on ne sait jamais par où ça passe.

— Gare dessous ! cria Pen-Bras, la voilà ! »

Trois encablures sous le vent, un vaisseau obscur se balançait ; la yole semblait rentrée ; voiles carguées, il glissait sur l’eau. Le foc seul ballottait, trempant à chaque coup de tangage sa pointe sanguinolente dans la mer. La coque était haute et goudronnée, toute lisse, comme une muraille noire de rempart ; par les sabords ouverts, sept gueules de cuivre rouge baillaient à tribord.

« Mazette ! c’est haut, dit la Tourterelle. Ferme, les bras ! Nage dur. On va gagner sur eux. N’y a pas trois encablures. »

                               En v’là déjà-z-une.
                               Oh ! quell’joli’-z-une !
                               Une s’en va s’en allant
                               Une vient de s’en aller.

Mais le vaisseau fuyait insensiblement, comme un