Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/94

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Une onde courut tout le long du personnage, et mit le visage entier en mouvement. Les yeux roulèrent et devinrent clairs. Les cheveux se hérissèrent, avec les favoris, qui semblèrent en être les prolongements. Des plis se creusèrent aux tempes et à la bouche. La figure de l’homme avait maintenant une fixité mauvaise ; et, avec un geste étrange, comme venant d’être réveillé, il se frotta deux ou trois fois sous le nez, de l’index. Puis il se mit à parler, avec un accent traînard, les mains non plus gourdes, mais suivant les paroles avec des gestes. C’étaient des paroles adressées à d’autres personnes, évidemment, qui n’étaient pas là. Le juge crut devoir lui demander où il se trouvait. L’homme tressaillit sous la question ; sa bouche s’ouvrit sans effort, — et ce flux déborda :

« Où que j’suis ? Eh ben, chez moi, donc ! Qu’est-ce que ça peut t’foutre, où que j’suis ! » Il prit une plume sur la table. « V’là une trempe-tes-deux-bras-dans-la-vase-noire, j’m’en suis jamais tant servi. C’est pour refaire les mecs-à-bavette. Ils ont été bons. J’ai passé devant le Rouge ; j’étais bien fringué, là. Il a gobé que j’travaillais avec ec’t instrument-là. Bonnes poires, va ! C’est comme mon boniment pour les bijoux. Oh ! i’sont pas coton, i’sont à la coule, c’est comme du velours. J’ai esgourdé l’autre tourte ; j’ai entravé, entravé ce qu’il jaquetait. Je l’ai gouré première marque avec un beau chiqué, quéqu’chose d’bat.