Page:Schwob - Mœurs des diurnales, 1903.djvu/194

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ni son goût du plaisir. Cela ne dérange en rien l’ordre de sa journée telle qu’elle l’a combiné la veille, à supposer qu’elle soit du nombre des rares personnes de son sexe qui savent la veille ce qu’elles feront le lendemain ? On est blasé. La presse remplace l’expérience. Il fallait, jadis, avoir fait ses caravanes, pour porter dans sa poitrine un cœur de bronze. Il suffit aujourd’hui d’être abonné à un journal. On disait jadis d’un homme, pour expliquer qu’il demeurât indifférent, là où d’autres montraient de l’émotion ; il en a tant vu ! Nous disons aujourd’hui, pour excuser notre dureté : j’en ai tant lu !


De quels plaisirs vous vous privez donc, ô tristes chercheurs d’infini, lecteurs hypocrites, mes frères ! Hypocrites, puisque vous lisez les journaux. De toute nécessité vous les lisez. On ne peut pas vivre, si on ne les lit. Un homme sans journal est comme un aveugle sans bâton, un âne sans croupière, une vache sans cymbales. Ôtez-moi mon journal, et jusqu’à ce que vous me l’ayez rendu, je ne cesserai de crier après vous, comme un aveugle qui a perdu son bâton, de braire comme un âne sans croupière et de bramer comme une vache sans cymbales. Omnis diurnalis diurnabilis in