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Page:Scientia, année 3, volume 6 (extrait), 1909.djvu/17

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et qui a été peu étudiée ; je voudrais cependant dire quelques mots d’une particularité qui se présente dès qu’on en aborde l’étude et qui paraît être une loi générale[1]. On peut la formuler ainsi : les nombres simples ne se laissent pas approcher par d’autres nombres simples. Précisons par un exemple le sens de cet énoncé, un peu vague dans sa généralité. On peut rechercher une fraction ordinaire qui soit égale à la racine carré d’un nombre entier donné : à , par exemple, ou à . Si l’on désigne la fraction cherchée par , on démontre facilement que l’erreur commise est environ égale à , à un facteur près dont la valeur est limitée en fonction des données ; par exemple, s’il s’agit de , l’erreur est sûrement supérieure à . On ne peut donc avoir une valeur approchée à un dix-millionième près, par exemple, que si les termes p et q de la fraction dépassent 1000. Il est au contraire évident que les nombres compliqués sont parfois approchés de très près par des nombres très simples ; par exemple le nombre


est visiblement égal à , avec une erreur qui porte seulement sur la vingtième décimale.

C’est Liouville qui, dans ses recherches sur les nombres algébriques, a donné les premiers exemples de la loi précédente, dont la démonstration complète appellerait encore des recherches, mais qui paraît bien être une propriété générale des nombres. Elle est la justification pratique de l’introduction de nombres à définition simple, autres que les nombres rationnels : si, en remplaçant par ou par , on commettait une erreur pratiquement toujours négligeable, il n’y aurait que des avantages à cette substitution et la valeur exacte ne conserverait qu’un intérêt purement abstrait et théorique.

  1. Voir, pour le développement de cette idée : Émile Borel, Contribution à l’étude arithmétique du nombre e, Comptes rendus de l’Académie des Sciences de Paris, 6 mars 1899, t. CXXVIII, et Leçons sur la théorie de la croissance (Gauthier-Villars, 1909).