Page:Scientia extract from the march-april may-june 1973 issue (Le savant hors de sa tour d’ivoire).djvu/17

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"L'effort de comprendre et surtout celui de sentir en commun, le souci pour chacun de pénétrer les sentiments et les mobiles des autres hommes sont les liens nécessaires pour la constitution intime d'une société humaine. A l'oeuvre de destruction, de mensonge et de haine, il nous faut, de toutes nos forces, opposer celle de travail, de lumière et d'amour. Les « marins de la Mer noire » expient durement un geste de révolte d'un instant, commis dans des circonstances particulièrement atténuantes même au point de vue de la prompte et brutale justice militaire".

Rappelant alors les conditions matérielles effroyables dans lesquelles se trouvaient ces hommes, mal nourris et mal vêtus par des froids intenses, et retenus loin de leurs foyers au terme d'une guerre particulièrement dure, Paul Langevin poursuit:

"Les conditions morales étaient pires encore. La guerre était finie, et aucune raison légale ne pouvait être invoquée pour les envoyer combattre un pays dans lequel se passaient des évènements mal connus (mais) qui apparaissaient à beaucoup d'entre eux comme l'aube un peu voilée, et d'autant plus belle peut-être, d'un jour nouveau si longtemps attendu. IL N'EST PAS FACILE DE CONSTITUER ET DE MAINTENIR UNE FORCE INCONSCIENTE ET BRUTALE DANS UNE SOCIÉTÉ OU UN PEU DE LUMIÈRE A COMMENCÉ DE PÉNÉTRER"[1].

Dès lors, Paul Langevin était politiquement marqué. Si son autorité scientifique incontestée n'en pouvait souffrir, du moins la réprobation tacite de certains collègues non engagés lui valut-elle quelques désagréments, et, sans nul doute, un long retard à son élection à l'Institut de France, où il ne devait entrer qu'en 1934 — après avoir reçu bien des distinctions de la part d'Académies étrangères! Désormais, son existence quotidienne est littéralement envahie de sollicitations de toute nature, d'autant plus nombreuses qu'il n'évince aucun importun, et ne sait jamais refuser son appui ou son concours pour une cause qui lui paraît juste. C'est ainsi que, vers la fin des années vingt, se montait à plusieurs dizaines la liste des associations dont il était membre actif, ou même président effectif. Pressentant de plus en plus clairement l'effroyable danger d'une éventuelle guerre chimique et bactériologique, il réunit une importante documentation et prend à tâche d'apporter l'information la plus large sur la très fallacieuse protection proposée par les marchands de masques à gaz. Souvent, appelé par de nombreuses sections locales de la LDH, dont il est devenu l'un des membres les plus écoutés, il va le dimanche — parfois entre deux nuits de train — faire sur ce sujet des conférences en province. Pour lui, le plus sûr moyen de parer au danger de guerre est que les peuples soient mis en mesure de conduire eux-mêmes leur destin : aussi voit-il dans les progrès de la culture populaire l'un des

  1. Intervention au meeting de Wagram, 1921. Des extraits ont été publiés par Paul Labérenne: Paul Langevin, La Pensée et l’Action, Editeurs français réunis, Paris, 1950.