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La période qui s'étend de 1927 à 1933 fut sans aucun doute, dans la vie du savant, celle qui lui apporta les plus riches satisfactions de tous ordres. Le président Hendrik Antoon Lorentz ayant disparu, au profond regret de tous, un an après le mémorable Conseil de 1927, c'est Paul Langevin qui fut désigné à l'unanimité pour le remplacer. Ce choix avait d'ailleurs été envisagé du vivant de Lorentz en vue d'un rajeunissement du Comité, et Marcel Brillouin, dans une lettre du 1er juin 1919, avait exprimé ainsi son sentiment :

"De cette génération, c'est Langevin qui a l'instruction profonde, la lecture rapide, le solide bon sens, mitigé d'enthousiasme : c'est lui qui fournit à tous ses contemporains toutes les notions précises et profondes, filtrées pour ainsi dire, qu'ils utilisent pour leurs travaux".

Paul Langevin assuma cette charge nouvelle avec sa haute conscience habituelle. Il entreprit aussitôt la préparation du Conseil prévu pour 1930, assurant lui-même la traduction en deux langues et l'envoi à chaque participant des rapports toujours plus complexes qui devaient servir de base aux discussions. Ce Conseil, qui réunit tous les spécialistes du magnétisme, fut pleinement réussi. Et le président reçut aussi des marques de haute considération de la part des souverains belges, qui accueillaient toujours le Comité pour un dîner de clôture. Il admirait beaucoup la reine, et, à ses intimes, parlait souvent — non sans une fierté malicieuse — de « (son) amie Elisabeth », dont il appréciait à la fois le charme, l'intelligence et les opinions libérales.

En cette période d'intense activité lui venaient des grandes Universités du monde entier les plus hautes distinctions honorifiques, et aussi de nombreuses sollicitations pour des conférences. Il eut ainsi l'heureuse occasion de visiter bien des pays. La rupture avec le surmenage habituel lui apportait chaque fois une salutaire détente, car il possédait une remarquable aptitude à s'abstraire des soucis quotidiens aussitôt qu'il en était éloigné, et à profiter pleinement de tout ce qui s'offrait à sa curiosité d'esprit. Il connut ainsi l'Espagne, le Portugal, la Hongrie, la Tchécoslovaquie. Pendant les étés de 1927 et 1928, il séjourne en Amérique du Sud, où — donnant trente-huit conférences en deux mois! — il séduit les étudiants par son étonnante jeunesse de caractère : à la fin d'un grand dîner d'adieu, il entonne pour eux des chansons estudiantines françaises. En 1928 et 1929, il est chaleureusement accueilli en URSS comme l'un des artisans les plus actifs du rapprochement franco-soviétique ; il y visite de grands laboratoires, va jusqu'en Géorgie, et s'intéresse vivement aux progrès accomplis en quelques années, tout spécialement en ce qui concerne l'éducation de la jeunesse. Mais, de tous, le voyage qui lui apporta les joies les plus vives fut celui qu'il accomplit en Chine en 1931-1932 comme membre français d'une mission culturelle d'experts, sollicitée auprès de la SDN par cet immense pays aux cinquante millions d'enfants d'âge scolaire qui