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agissant en guides et en conseillers plutôt qu'en censeurs autoritaires. Pour atteindre à la vraie culture générale, il faudra ouvrir largement l'école sur la nature et sur la vie, afin que chacun acquière « une conscience aussi claire que possible de la parenté des esprits et de la fraternité des oeuvres : c'est ce qui donne un sens au moindre des efforts, une portée humaine à la plus humble des activités ». On s'efforcera donc de « rattacher (peu à peu) les connaissances à leurs origines humaines » grâce à un enseignement historique de la civilisation — thème cher à Paul Langevin depuis le temps de ses études.

Et le grand savant accorda bien entendu une importance prépondérante à la formation des maîtres de tous degrés. Il la voulait commune jusqu'à l'Université, les spécialisations diverses d'ordre pédagogique intervenant seulement après la Licence. Et l'Université devait également dispenser aux adultes l'éducation permanente dans tous les domaines : principe qui n'a connu que ces toutes dernières années un début de mise en oeuvre. Paul Langevin mena à son terme cette oeuvre ultime, aboutissement de toute une vie d'efforts et de réflexion ; mais le temps ne lui fut pas donné d'en parachever la rédaction, dont la mise au point fut terminée par Henri Wallon en 1947. Malheureusement, ce vaste projet, qui exigeait à la fois une ferme volonté démocratique et un effort financier considérable, ne vit pas le jour : seuls un petit nombre d'essais furent pratiqués progressivement dans les classes secondaires de quelques « lycées pilotes », où ils donnèrent d'ailleurs les plus heureux résultats. Déplorable abandon, dont le hardi novateur eût été ulcéré, et qui est sans nul doute à l'origine de bien des difficultés récentes! En ces deux dernières années d'une existence si généreusement remplie, accablé d'une lassitude dont la cause profonde (une leucémie) fut diagnostiquée in extremis, Paul Langevin se prenait parfois à aspirer à un repos bien gagné, ainsi qu'il s'en ouvrit à son ami Einstein dans la dernière lettre qu'il lui écrivit (25 janvier 1946) : « L'état de mon coeur se ressent de toutes ces épreuves et je ne puis qu'aspirer au repos relatif qui me permettra de mettre en ordre les quelques idées que je puis avoir encore ». Le projet auquel il faisait allusion avec une aussi admirable modestie consistait à rassembler sous une forme plus achevée qu'en ses divers écrits ou discours les préoccupations essentielles qui avaient dominé sa vie, et d'y traduire son indéfectible espérance en un avenir meilleur pour l'humanité. On ne saurait trop déplorer qu'il n'ait eu ni la force ni le temps de laisser à la postérité ce qui eût représenté un précieux document d'éthique et d'humanisme modernes, fondé sur des bases rationnelles et libres de toute mystique. L'ébauche de ce testament spirituel se trouve dans le texte de sa dernière conférence, prononcée en mai 1946 sous le titre « La Pensée et l'Action »