Page:Scott - Ivanhoé, trad. Dumas, 1874.djvu/222

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» C’est elle pour les beaux yeux de laquelle fut gagné
» Le champ de lice à Ascalon.

» Observez bien son sourire ; il a donné un tranchant à la lance.
» Qui a fait cinquante veuves de cinquante épouses,
» Lorsque, malgré sa force et le charme de Mahoud,
» Le sultan tomba dans les champs d’Icone.
» Vois-tu ces boucles, couleur de soleil,
» Couvrant à moitié son cou de neige ;
» Il n’est pas un seul fil d’or de sa chevelure
» Qui n’ait coûté la vie à un païen. »

» Joie à ma belle ! Mon nom est inconnu,
Mais chacun de mes hauts faits doit honorer le sien.
Donc, ouvre cette porte cruelle, noble dame !
La rosée de la nuit tombe, l’heure s’avance ;
Habitué au souffle brûlant de la Syrie,
Le vent du nord me paraît aussi froid que la mort.
Souffre que l’amour reconnaissant domine la modestie de la jeune fille,
Et accorde le bonheur à celui qui t’apporte
La renommée ! »

Pendant que le chevalier chantait, l’ermite se comportait à peu près comme un critique de premier ordre se comporte de nos jours à un opéra nouveau. Il s’était couché sur son siége, les yeux à moitié fermés : tantôt joignant ses mains et tournant ses pouces, il semblait absorbé dans une attention muette, et, tantôt balançant sa main étendue, il battait doucement la mesure. Dans une ou deux des cadences favorites, il prêta au chevalier l’appui de sa propre voix, lorsque celle du chevalier paraissait trop faible pour porter l’air aussi haut que l’eût désiré son goût supérieur. Lorsque la chanson fut terminée, l’anachorète déclara avec emphase qu’elle était bonne et bien chantée.

— Et cependant, ajouta-t-il, il me semble que mon compatriote saxon a vécu assez longtemps avec les Normands pour adopter le ton de leurs airs larmoyants. Qui donc forçait cet honnête chevalier à quitter son pays ? À quoi pouvait-il s’attendre, si ce n’est à trouver sa maîtresse agréablement