Page:Scott - Ivanhoé, trad. Dumas, 1874.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
IVANHOÉ.

oui, mes actions, mes dangers, mon sang grandirent le nom d’Adélaïde de Mortemart, et le rendirent célèbre depuis la Cour de Castille jusqu’à celle de Byzance. Mais quelle fut ma récompense ? Quand je revins avec une gloire si chèrement payée, au prix de tant de fatigues et de sang, je la trouvai mariée à un petit seigneur gascon dont le nom ne fut jamais cité au-delà des limites de son mesquin domaine. Je l’aimais véritablement, et j’ai châtié amèrement son manque de foi ; mais ma vengeance est retombée sur moi. Depuis ce jour, je me suis détaché de la vie et de ses liens. Mon âge viril n’a pas connu le toit domestique, n’a pas connu les consolations d’une femme aimante ; ma vieillesse ne connaîtra pas les douceurs du foyer. Mon tombeau sera solitaire, et je ne laisserai pas d’enfants pour me survivre et pour porter l’ancien nom de Bois-Guilbert. Aux pieds de mon supérieur, j’ai déposé le droit de mon libre arbitre, le privilége de mon indépendance. Le templier, qui est un serf en tout, sauf le nom, ne peut posséder ni terres ni biens ; il ne vit, n’agit et ne respire que par la volonté et le bon plaisir d’un autre.

— Hélas ! dit Rébecca, quels avantages peuvent servir de comparaison à un sacrifice aussi absolu ?

— Le pouvoir de la vengeance, Rébecca, dit le templier, et les perspectives de l’ambition.

— Mauvaise récompense, dit Rébecca, pour remplacer les droits les plus chers à l’humanité.

— Ne dites pas cela, jeune fille, répondit le templier : la vengeance est le plaisir des dieux ; et, s’ils se la sont réservée, comme nous le disent les prêtres, c’est parce qu’ils la regardent comme une jouissance trop précieuse pour de simples mortels. Et puis, l’ambition, c’est une passion qui pourrait troubler le repos même du ciel.

Il s’arrêta un moment, puis il ajouta :

— Rébecca, celle qui a pu préférer la mort au déshonneur doit avoir une âme fière et puissante : il faut que tu m’appartiennes ! Ne tressaille pas, ajouta-t-il, ce sera de ton