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IVANHOÉ.

même perdre mon office pour l’amour d’une poupée juive. Et vous, si vous voulez suivre mon conseil, vous abandonnerez cette chasse frivole pour lâcher votre faucon sur une autre proie. Songez, Bois-Guilbert, que votre rang actuel, vos honneurs futurs, tout enfin dépend de votre place dans l’ordre. Si vous persistez follement dans votre folle passion pour Rébecca, vous donnerez à Beaumanoir le pouvoir de vous bannir, et il ne le laissera pas échapper. Il est jaloux du bâton de commandement qu’il tient dans sa main tremblante, et il sait bien que votre poing vigoureux est là pour l’étreindre. N’en doutez pas, il sera votre ruine, si vous lui fournissez un aussi bon prétexte que la protection dont vous couvririez une sorcière juive. Laissez-lui le champ libre en cette occasion, car vous ne pouvez l’emporter sur lui ; quand le bâton sera dans vos mains, vous pourrez caresser ou brûler les filles de Judée selon votre bon plaisir.

— Malvoisin, répondit Bois-Guilbert, ce sang-froid est celui d’un…

— D’un ami, dit le précepteur se hâtant de remplir la lacune dans laquelle Bois-Guilbert aurait placé un mot beaucoup moins doux. Oui, j’ai le sang-froid d’un ami, et, par conséquent, je suis propre à vous donner un bon conseil ; je vous dis encore une fois que vous ne pouvez sauver Rébecca ; vous ne pourrez que vous perdre avec elle ; hâtez-vous d’aller trouver le grand maître, jetez-vous à ses pieds, et dites-lui…

— Ce n’est pas à ses pieds, par le Ciel ! c’est à la barbe du radoteur que je dirai…

— Dites-lui donc à sa barbe, reprit froidement Malvoisin, que vous aimez cette juive captive jusqu’à la folie ; et plus vous vous étendrez sur votre passion, plus il se hâtera de la terminer par la mort de la belle enchanteresse ; et vous, pris en flagrant délit par l’aveu d’un crime contraire à votre serment, vous ne pourrez pas espérer l’appui de vos frères, et serez obligé peut-être de renoncer à tous les rêves brillants de l’ambition et du pouvoir, pour aller lever