Page:Scott - Le Pirate, trad. de Defauconpret, Librairie Garnier Frères, 1933.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en conversation avec ceux qui l’entouraient, surtout quand cette conversation était d’un genre grave, mélancolique et satirique, ce qui convenait le mieux à sa tournure d’esprit. Cependant il apparut que son excellente éducation avait été bien négligée sur un point important : M. Mertoun savait à peine distinguer la proue d’un vaisseau de sa poupe, et une vache n’aurait pu être plus inepte dans tout ce qui se rapporte à l’art de conduire une barque. Une telle ignorance paraissait inconcevable aux habitants de ces îles.

Mais, le plus souvent, M. Basile Mertoun restait sombre et concentré en lui-même. Une grosse gaieté le mettait en fuite ; même l’enjouement modéré d’une société d’amis mettait sur son front des signes d’abattement.

Les femmes aiment à pénétrer les mystères et à soulager la mélancolie, surtout quand il est question d’un homme bien fait et qui n’a point encore passé le bel âge de la vie ; et sans doute parmi les filles de Thulé, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, cet étranger pensif en eût trouvé quelqu’une qui se fût dévouée à le consoler, s’il eût montré quelque disposition à recevoir ce charitable service ; mais au contraire, il semblait fuir la présence des femmes.

À ces singularités M. Mertoun en joignait une autre particulièrement désagréable à son hôte et principal patron, Magnus Troil. Ce magnat des îles Shetland était convaincu qu’une verre de genièvre ou d’eau-de-vie était une panacée infaillible contre tous les soucis et toutes les afflictions du monde. Or M. Mertoun ne buvait que de l’eau, de l’eau pure, et aucune prière n’aurait pu le déterminer à goûter d’autre boisson. Et Magnus Troil ne pouvait tolérer un tel outrage aux anciennes lois conviviales du Nord, lois qu’il avait, quant à lui, toujours observées rigoureusement. On se demandera en quoi la société de cet étranger pouvait dédommager Magnus du déplaisir que lui causait ses habitudes de sobriété. Le voici : d’abord il avait cet air qui indique un homme de quelque importance, et quoique l’on conjecturât qu’il n’était pas riche, ses dépenses montraient qu’on ne pouvait le regarder comme pauvre. En second lieu, il possédait le talent de la conversation, dont il daignait parfois faire usage, et sa misanthropie s’exprimait souvent de manière à passer pour de l’esprit, dans un endroit où l’esprit était rare. Par-dessus tout, le secret de M. Mertoun semblait impénétrable, et sa présence avait l’intérêt excitant d’une énigme.

Malgré toutes ces recommandations, Mertoun différait de son hôte en des points si essentiels, qu’après qu’il eut passé chez lui