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Le Miroir de ma Tante Marguerite

le prouvent ses lettres qui sont renfermées dans mon cabinet.

« Jemina Falconer était tout à fait l’opposé de sa sœur ; son intelligence, si toutefois elle en avait, était des plus ordinaires. Sa beauté, qu’elle conserva fort peu de temps, ne consistait que dans une grande délicatesse de traits et de teint, mais sans aucune expression. Les chagrins d’une union mal assortie détruisirent bientôt ses charmes. Elle aimait passionnément son mari, qui la traitait avec une indifférence polie. Une telle conduite envers une personne tendre et d’un jugement faible produisit sur elle un effet peut-être plus pénible que s’il l’avait traitée plus durement. Sir Philippe était voluptueux, ou plutôt parfait égoïste ; son caractère était comme son épée, poli, tranchant et brillant, mais inflexible et sans pitié. Quoiqu’il observât soigneusement toutes les formes de la politesse envers sa femme, il ne se faisait pas scrupules de la priver même de la compassion du monde ; et bien qu’elle serve peu à ceux qui la possèdent, il était pénible à un esprit comme celui de lady Forester de voir qu’elle n’en pouvait jouir.

« Dans le monde, on excusait le mari coupable aux dépens de la femme maltraitée. Quelques personnes l’accusaient de faiblesse, et déclaraient que si elle avait eu un peu de la fermeté de sa sœur, elle aurait fait ce qu’elle aurait voulu de son mari, fût-il un autre Falconbridge[1]. Une grande partie de leurs connaissances affectaient de la franchise, et disaient que les fautes étaient réciproques, quoiqu’en vérité il n’existât pas d’oppresseur ni d’opprimée. « Certainement, ajoutaient-ils, personne ne justifiera sir Philippe Forester ; mais on le connaissait, et Jemina Falconer devait s’attendre à ce qui lui arrive. Pourquoi voulut-elle l’épouser ? Il ne l’au-

  1. Personnage d’un drame de Shakspeare. A. M.