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LE NAIN NOIR

à l’Angleterre, en ce qu’il semblait menacer les deux royaumes d’une séparation inévitable après la mort de la reine Anne. Godolphin, qui était alors à la tête de l’administration anglaise, comprit que le seul moyen d’écarter les malheurs d’une guerre civile était de parvenir à l’incorporation et à l’unité des deux royaumes. Pour l’intelligence de notre récit, il suffit de savoir que l’indignation fut générale en Écosse, quand on y apprit à quelles conditions le parlement d’Édimbourg avait sacrifié son indépendance. Cette indignation donna naissance à des ligues secrètes, aux projets les plus extravagants. Les caméroniens mêmes, qui regardaient avec raison les Stuarts comme leurs oppresseurs, étaient sur le point de prendre les armes pour le rétablissement de cette dynastie ; et les intrigues politiques présentaient l’étrange spectacle des papistes, des épiscopaux et des presbytériens cabalant contre le gouvernement britannique, poussés par un commun ressentiment des outrages faits à la patrie. La fermentation était universelle ; et comme depuis la proclamation de l’acte de sécurité, la population avait été exercée au maniement des armes, elle n’attendait que la déclaration de quelques-uns des chefs de la noblesse qui voulussent diriger le soulèvement, pour se porter à des actes hostiles.

Le cleugh ou la ravine sauvage où Hobbie Elliot venait de poursuivre le gibier, était déjà loin derrière lui, et il était à peu près à mi-chemin de sa ferme quand la nuit étendit ses premiers voiles sur l’horizon. Il n’existait dans les environs ni un buisson ni une pointe de rocher qu’il ne connût parfaitement, et il aurait regagné son gîte les yeux fermés ; mais ce qui l’inquiétait malgré lui, c’est qu’il se trouvait près d’un endroit qui ne jouissait pas d’une bonne réputation. La tradition disait qu’il était hanté par des esprits, et qu’on y voyait des apparitions. Il avait entendu faire ces contes depuis son enfance, et personne n’y ajoutait plus de foi que le bon Hobbie de Heugh-Foot.

Il faut convenir que le lieu dont il s’agit prêtait un peu à la superstition, et Hobbie n’eut pas besoin de faire de grands efforts pour se rappeler les événements merveilleux qu’il avait entendu raconter. Ce lieu sinistre était un common, ou bruyère communale, appelée Mucklestane-Moor[1] à cause d’une colonne de granit brut placée sur une éminence au centre de la bruyère, soit pour servir de mausolée à un ancien guerrier enseveli en ce lieu, soit pour perpétuer le souvenir de quelque combat. La tradition expliquait l’origine de ce monument par une légende que la mémoire d’Hobbie ne manqua pas de lui rappeler. Autour de la colonne, le terrain

  1. La plaine de la Grande-Pierre.