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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

— Colonel, s’écria le major Bellenden, ne croyez pas que, malgré mon âge, je laisse impunément assassiner sous mes yeux le fils de mon ami. Vous me rendrez raison de cet acte de violence.

— Quand il vous plaira, major, répondit froidement Claverhouse. — Bothwell, emmenez le prisonnier.

Celle qui prenait l’intérêt le plus vif à cette discussion avait fait trois fois un effort pour parler ; trois fois sa langue s’y était refusée, et elle restait sur sa chaise, comme plongée dans un profond accablement. En ce moment elle se leva, voulut s’élancer vers le colonel, mais les forces lui manquèrent, et elle tomba sans connaissance entre les bras de Jenny, qui heureusement se trouvait derrière elle. — Du secours ! s’écria la suivante ; bon Dieu ! ma jeune maîtresse se meurt !

À cette exclamation, lord Evandale, qui, pendant toute cette scène, était resté immobile, se redressa : — Colonel, dit-il à Claverhouse, avant que le prisonnier sorte d’ici, je désire vous parler en particulier.

Claverhouse parut surpris ; mais se levant aussitôt il suivit le jeune capitaine dans un coin de la salle.

— Je n’ai pas besoin de vous rappeler, colonel, dit Evandale, que l’année dernière, lorsque vous avez obtenu des marques du crédit de ma famille auprès du conseil privé, vous m’avez témoigné que c’était à moi que vous en aviez l’obligation.

— Certainement, mon cher lord, et je serai enchanté quand je trouverai l’occasion d’acquitter ma dette.

— Elle se présente, accordez-moi la vie de ce jeune homme.

— Evandale, vous êtes fou !… Quel intérêt pouvez-vous prendre à la conservation des jours de ce jeune fanatique ? Le colonel Silas Morton était l’homme le plus dangereux de toute l’Écosse : froid, résolu, adoré du soldat, inflexible dans ses maudits principes ; son fils paraît formé sur le même modèle, et vous ne pouvez vous imaginer tous les maux qu’il peut causer. S’il ne s’agissait que d’un individu sans conséquence, de quelque misérable paysan, croyez-vous que j’aurais refusé sa grâce à lady Marguerite et au major ? mais non, il s’agit ici d’un jeune homme bien né, plein de feu et de courage. Il ne manque aux rebelles qu’un tel chef pour donner à leur parti la consistance qui lui manque. Je ne vous fais pas ces observations pour vous refuser, mais pour vous engager à réfléchir sur les conséquences de votre demande. Jamais je n’éluderai une promesse, ni l’occasion de reconnaître un service. Si vous voulez qu’il vive, il vivra.

— Gardez-le prisonnier ; il cessera d’être dangereux ; mais permettez-moi, colonel, d’insister pour obtenir sa vie.