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LE NAIN NOIR

Il alla à son jardin, et en revint tenant à la main une rose à demi épanouie. ― Tu m’as fait verser une larme, dit-il, c’est la seule qui soit sortie de mes yeux depuis bien des années ; reçois ce gage de ma reconnaissance. Prends cette fleur, conserve-la avec soin, ne la perds jamais ! Viens me trouver à l’heure de l’adversité, montre-moi cette rose, montre m’en seulement une feuille ; fût-elle aussi flétrie que mon cœur, elle fera renaître dans mon sein des sentiments plus doux, et tu verras peut-être l’espérance luire de nouveau dans le tien. Mais point de message, point d’intermédiaire ; viens toi-même, viens seule, et mon cœur et ma porte, fermés pour tout l’univers, s’ouvriront toujours pour toi et tes chagrins. Adieu.

Il laissa aller la bride et la jeune dame, après l’avoir remercié, s’éloigna fort surprise.

Cependant les compagnes de miss Vere ne manquèrent pas de la plaisanter sur l’étrange entretien qu’elle avait eu.

— La situation de ce pauvre homme est si triste, dit Isabelle, que je ne puis goûter vos plaisanteries comme de coutume. S’il est sans ressources, comment peut-il exister dans ce désert, et s’il a les moyens de se procurer ce dont il a besoin, ne court-il pas le risque d’être volé, assassiné.

— Vous oubliez qu’on assure qu’il est sorcier, fit observer Nancy.

— Et si la magie diabolique ne lui réussit pas, reprit Lucy, il n’a qu’à se fier à sa magie naturelle. Qu’il montre à sa fenêtre sa tête, le plus hardi voleur ne voudra pas le voir deux fois. Si j’avais à ma disposition cette tête de Gorgone, je ferais fuir du château ce sombre, raide et cérémonieux Frédéric Langley que votre père aime tant, et que vous aimez si peu.

— Que diriez-vous donc, Lucy, si l’on vous proposait d’associer pour la vie votre destinée à celle de sir Frédéric ?

— Je dirais non, non, non, trois fois non, jusqu’à ce qu’on m’entendit de Carlisle.

— Mais si Frédéric vous disait que dix-neuf non valent un demi-consentement ?

— Cela dépend de la manière dont ces non sont prononcés.

— Mais si votre père vous disait : Consentez, ou…

— Je m’exposerais à toutes les conséquences de son ou.

— Et s’il vous menaçait d’un couvent.

— Je le menacerais d’un gendre protestant. — Croyez-vous donc, ma chère Isabelle, que vous ne seriez pas excusable, devant Dieu et devant les hommes, de recourir à tous les moyens possibles plutôt que de faire un tel mariage ? Un ambitieux, un orgueilleux, un avare, un conspirateur. Je mourrais mille fois, plutôt que de consentir à l’épouser.