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LE NAIN NOIR

infortunés qui sont dans cette cruelle position ; mais son faux ami, qui par alliance était devenu son plus proche parent, fit durer la détention longtemps après que la cause n’en existait plus, afin de conserver la jouissance de son immense fortune. Il existait un homme qui devait tout à cette victime : cet homme n’avait ni crédit, ni puissance, ni richesses, mais il ne manquait ni de zèle ni de persévérance : après de longs efforts, il finit par obtenir justice ; le malheureux fut remis en liberté et rétabli dans la possession de ses biens, qui bientôt après s’augmentèrent même de tous ceux de la femme qu’il devait épouser : elle mourut sans enfants mâles, et ces biens lui revenaient à titre d’héritier substitué. Mais la liberté n’avait plus de prix à ses yeux, et sa fortune, qu’il méprisait, ne fut plus pour lui qu’un moyen de se livrer aux bizarres caprices de son imagination. Il avait abjuré le catholicisme, mais peut-être quelques-unes des doctrines de cette religion continuaient-elles d’exercer leur influence sur son âme, qui parut désormais ne plus connaître que les inspirations du remords et de la misanthropie. Depuis cette époque, il a mené alternativement la vie d’un pèlerin et celle d’un ermite. Tous ses discours annoncent l’aversion la plus invétérée contre les hommes, et toutes ses actions tendent à les soulager. Mais je ne vous ai pas encore parlé d’une circonstance qui va peut-être vous alarmer, et c’est même pour cela que je ne l’ai pas mentionnée plus tôt… Maintenant que nous voici près de sa retraite, — il ne m’est pas possible de vous accompagner chez lui ; vous devez vous y présenter seule.

— Seule ? Je n’ose !

— Il le faut. Je vais rester ici et vous attendre.

— Vous n’en bougerez pas ? — Mais si je vous appelais, croyez-vous que vous pourriez m’entendre ?

— Bannissez toute crainte, et surtout gardez-vous bien de lui en montrer aucune. Il prendrait votre timidité pour l’expression de l’horreur qu’il croit que sa figure cause immanquablement. Adieu pour quelques instants : souvenez-vous des maux dont vous êtes menacée, et que la crainte qu’ils doivent vous inspirer triomphe de vos scrupules et de vos terreurs.