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Page:Scott - Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret, 1836.djvu/372

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lancolie aux bois et aux ondes, jusqu’à ce que, dans son délire, ajoutant foi lui-même à tout ce que la crédulité superstitieuse racontait de son origine, il en vint à chercher son père fantastique dans les sombres vapeurs et les météores. Vainement les cloîtres lui ouvrirent leurs charitables asiles pour adoucir sa bizarre destinée ; vainement les livres de la science lui communiquèrent leurs trésors ; il n’y trouva que de nouveaux alimens pour nourrir la fièvre de son imagination, et il lut avec avidité tout ce qui avait rapport à la magie, aux secrets cabalistiques et aux enchantemens : ses sombres méditations augmentèrent son orgueil sans rassasier sa curiosité. Enfin, l’ame en délire, et le cœur déchiré par de mystérieuses horreurs, il alla cacher son désespoir dans la grotte obscure du Benharow, et renonça aux habitations des hommes[1].

VII.

Le désert lui offrit d’étranges visions, qui eussent été dignes de l’enfant d’un spectre. Aux lieux où les torrens luttent contre de noirs rochers, il contemplait les flots écumeux, jusqu’à ce que ses yeux éblouis vissent apparaître le démon des eaux. Pour lui le brouillard des montagnes prenait la forme d’une magicienne nocturne ou d’un hideux fantôme ; le vent sauvage de la nuit apportait à son oreille les voix plaintives de la tombe ; les champs de bruyère devenaient des théâtres de futurs combats, où la mort moissonnait les rangs des guerriers[2]. C’est ainsi que ce prophète solitaire, séparé de tout le genre humain, se créa un monde imaginaire. Un reste de sympathie le tenait encore lié aux mortels. Sa mère, seul parent qu’il pouvait réclamer, appartenait à l’antique clan d’Alpine. Depuis peu, il avait entendu, dans ses songes

  1. En adoptant la légende concernant la naissance du fondateur de l’église de Kilmalie, l’auteur a essayé de retracer les effets qu’une semblable croyance devait produire, dans un siècle barbare, sur celui qui l’entendait raconter. Il est probable qu’il devait devenir un fanatique ou un imposteur, ou plutôt le mélange de ces deux caractères, qui existe plutôt que l’un ou l’autre séparément. Dans le fait, les personnes exaltées sont fréquemment plus jalouses de graver dans le cœur des autres la croyance en leurs visions, qu’elles ne sont elles-mêmes convaincues de leur réalité ; de même qu’il est difficile à l’imposteur le plus de sang-froid de jouer long-temps le rôle d’enthousiaste sans croire lui-même un peu ce qu’il veut persuader. Il était naturel qu’un personnage tel que l’ermite Brian ajoutât foi aux superstitions des montagnards. Cette stance VI fait allusion à quelques-unes de ces superstitions locales.
  2. La plupart des grandes familles de l’Ecosse étaient supposées avoir un génie tutélaire, ou plutôt domestique, qui leur était attaché exclusivement, s’intéressait à leur prospérité, et les avertissait par ses cris plaintifs quand quelque malheur les menaçait. Celui de Grant s’appelait May-Moulach, et lui apparaissait sous la forme d’une jeune fille qui avait un bras velu. Un autre Grant de Rothermucus avait aussi à ses ordres un de ces esprits, nommé Bodachan-dun, ou l’esprit de la colline.
    La Banchie était la fée dont les gémissemens précédaient toujours, dit-on, la mort d’un Chef. Quand cet esprit femelle est visible, c’est sous la forme d’une vieille femme aux cheveux flottans et couverte d’un manteau bleu.
    La mort d’un chef de famille est aussi quelquefois annoncée par une chaîne de lumières de diverses couleurs, appelée Dreugh, ou la mort du Druide, et qui se dirige vers le lieu de la sépulture.