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Page:Scott - Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret, 1836.djvu/433

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tendre, aux jours de fête, cet air de gloire qui rappelle notre triomphe sur les fils de Dermid ; répète-le… et puis fais-moi la peinture du combat qui a été livré aux Saxons par mon brave clan : ce sera une chose facile pour toi, ménestrel inspiré. Je te prêterai une oreille attentive, jusqu’à ce que mon imagination me fasse entendre le choc des armes. Alors ces grilles, ces murs s’évanouiront à mes yeux, je croirai voir le glorieux champ de bataille, et mon ame prendra librement son dernier essor, comme si elle s’élevait triomphante du milieu de la mêlée[1].

Le barde tremblant obéit avec respect, et laissa errer lentement sa main sur les cordes de la harpe ; mais bientôt le souvenir de ce qu’il avait vu du haut de la montagne, mêlé au récit que Bertram lui avait fait pendant la nuit, réveilla tout son génie poétique, et il s’abandonna au sublime élan de son enthousiasme. Tel un navire mis à flot quitte d’abord la côte avec lenteur et timidité ; mais, lorsqu’il suit l’impulsion des flots plus éloignés du rivage, il vole aussi rapide que l’éclair.

XV.
LA BATAILLE DE BEAL’ AN DUINE.

— Le ménestrel vint saluer une dernière fois la cime occidentale du Ben-Venu ; car, avant de partir, il voulait dire adieu à l’aimable lac Achray… Où trouvera-t-il sur la terre étrangère un lac aussi solitaire, un rivage plus doux ?

  1. Il y a plusieurs exemples de personnes tellement attachées à des airs particuliers, qu’elles ont demandé à les entendre sur leur lit de mort. C’est ce qu’on rapporte d’un certain laird écossais, d’un barde du pays de Galles, etc.
    Mais l’exemple le plus curieux est celui que Brantôme nous fournit au sujet d’une fille d’honneur de la cour de France, appelée mademoiselle de Limeuil.
    « Durant sa maladie, dont elle trespassa, jamais elle ne cessa : ainsi causa toujours ; car elle estoit fort grande parleuse, brocardeuse, et très bien et fort à propos, et très belle avec cela.
    « Quand l’heure de sa fin fut venue, elle fit venir à soy son valet (ainsi que les filles de la cour en ont chacune un), qui s’appeloit Julien, et sçavoit très bien jouer du violon:— Julien, luy dit-elle, prenez votre violon, et sonnez-moy toujours, jusqu’à ce que vous me voyiez morte (car je m’y en vais), la défaite des Suisses, et le mieux que vous pourrez ; et, quand vous serez sur le mot Tout est perdu, sonnez-le par quatre ou cinq fois le plus piteusement que vous pourrez. — Ce que fit l’autre, et elle-même luy aidoit de la voix; et quand ce vint Tout est perdu, elle le réitéra par deux fois, et, se tournant de l’autre costé du chevet, elle dit à ses compagnes : Tout est perdu à ce coup, et à bon escient. — Et ainsi décéda. Voilà une morte joyeuse et plaisante. Je tiens ce « conte de deux de ses compagnes, dignes de foy, qui virent jouer ce mystère. » (Œuvres de Brantôme, III, 507.)
    L’air que cette dame choisit pour faire sa sortie de ce monde fut composé sur la défaite des Suisses à Marignan. Le refrain est cité par Panurge dans Rabelais, et se compose de ces mots, qui sont une imitation du jargon des Suisses, avec un mélange de français et d’allemand :

    Tout est velore,
    La tintelore :
    Tout est velore, bi got !