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sur les coussins de ma voiture, elle radieuse et séduisante ; moi, admirant sa grâce, son esprit, son babil… « Où vous conduirai-je, mademoiselle ? — Rue Saint-Jacques. — Et le numéro ? — Le numéro ?… j’arrive à Paris, je l’ai oublié ; c’est égal… allez toujours, je reconnaîtrai la maison. — La rue est longue… — Tant mieux… je serai plus longtemps en voiture… — Et moi, mademoiselle, plus longtemps près de vous ! » Et, dans ce boudoir roulant, près de cette jeune fille folle et rieuse, dont la gaîté m’enhardissait, impossible de ne pas parler d’amour !

LESCAUT, chantant.
––––––Aisément cela se peut croire.
LE MARQUIS.

Mais d’un amour que je ressentais réellement et qu’elle écoutait à peine !… distraite, préoccupée par tous les objets extérieurs… « Ah ! regardez donc, monsieur, comme c’est éclatant, éblouissant, ces beaux magasins… — Oui, mademoiselle, ceux d’un joaillier ! il y a là telle parure qui, j’en suis sûr, vous irait à merveille et vous rendrait plus belle encore, si c’est possible… le voulez-vous ? — Si je veux être belle ?… eh ! mais… — Cocher, arrêtez !… dans l’instant, mademoiselle, je suis à vous ! » Et je descends, laissant mon cocher sur le siège el ma nouvelle conquête dans ma voiture… je dis ma conquête, car ses yeux… brillants de joie, d’émotion… et de reconnaissance, promettaient plus que de l’espoir… et le cœur me battait pendant que je choisissais pour elle à la hâte des boucles d’oreilles… des bracelets, un collier, jouissant d’avance de sa surprise et ne me doutant guère de celle qui m’attendait ! Ma piquante grisolle n’était plus là ! disparue !… évanouie !… comme une sylphide, une fée qu’elle était, et mon cocher, endormi sur son siège, n’avait rien vu ! Depuis ce jour-là je, ne rêve qu’à elle !… je la vois partout et ne la rencontre nulle part. Voilà mon histoire.