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LE PEUPLE, se précipitant dans la boutique en brisant les vitrages du fond.

Nous voici !… Vive Burkenstaff !… notre chef… notre ami…

MARTHE.

Votre ami… et vous brisez sa boutique !

JEAN.

Il n’y a pas de mal ! c’est de l’enthousiasme ! et des carreaux cassés… Courons au palais !

TOUS.

Au palais ! au palais !

RANTZAU, paraissant au haut de l’escalier et regardant ce qui se passe.

À la bonne heure, au moins… cela recommence.

TOUS, agitant leurs bannières et leurs bonnets.

À bas Struensée ! Vive Burkenstaff ! qu’on nous le rende ! Burkenstaff pour toujours !

(Tout le peuple sort en désordre avec Jean. Marthe tombe désespérée dans le fauteuil qui est près du comptoir, et Rantzau descend lentement l’escalier en se frottant les mains de satisfaction. La toile tombe.)


ACTE TROISIÈME.

Un appartement dans l’hôtel du comte de Falkenskield. — À gauche, un balcon donnant sur la rue. — Porte au fond, deux latérales. — À gauche, sur le premier plan, une table, des livres, et ce qu’il faut pour écrire.


Scène I.

CHRISTINE, LE BARON DE GŒLHER.
CHRISTINE.

Eh ! mais, monsieur le baron, qu’est-ce que cela signifie ? qu’y a-t-il donc encore de nouveau ?

GŒLHER.

Rien, mademoiselle.

CHRISTINE.

Le comte de Struensée vient de s’enfermer dans le cabinet de mon père ; ils ont envoyé chercher M. de Rantzau. À quoi bon cette réunion extraordinaire ; il y a déjà eu conseil ce matin, et tantôt ces messieurs doivent se trouver ici à dîner.

GŒLHER.

Je l’ignore… mais il n’y a rien d’important, rien de sérieux… sans cela j’en aurais été prévenu ! ma nouvelle place de secrétaire du conseil m’oblige d’assister à toutes les délibérations.

CHRISTINE.

Ah ! vous êtes nommé ?

GŒLHER.

De ce matin !… sur la proposition de votre père, et la reine a déjà confirmé ce choix. Je viens de la voir ainsi que toutes ces dames, encore un peu troublées de l’algarade de ces bons bourgeois… On craignait d’abord que cela ne dérangeât le bal de demain ; grâce au ciel, il n’en est rien ; il m’est même venu là dessus quelques plaisanteries assez heureuses qui ont obtenu l’approbation de sa majesté, et elle a fini par rire de la manière la plus aimable.

CHRISTINE.

Ah ! elle a ri !

GŒLHER.

Oui, mademoiselle, tout en me félicitant de ma nomination et de mon mariage… et elle m’a dit à ce sujet des choses. (Souriant avec fatuité.) qui donneraient beaucoup à penser à ma vanité, si j’en avais. (À part.) car enfin Struensée ne sera pas éternel. (Haut.) mais je n’y pense plus. Me voilà lancé dans les affaires d’état, les affaires sérieuses, pour les quelles j’ai toujours eu du goût… oui, mademoiselle ; il ne faut pas croire, parce que vous me voyez léger et frivole, que je ne puisse pas aussi bien que tout autre… mon Dieu ! on peut traiter tout cela en se jouant, en plaisantant… que j’arrive seulement au pouvoir, et l’on verra !

CHRISTINE.

Vous au pouvoir !…

GŒLHER.

Certainement, je puis vous le dire, à vous, en confidence, cela ne tardera peut-être pas. Il faut que le Danemarck se rajeunisse… c’est l’avis de la reine, de Struensée, de votre père… et si l’on peut éliminer ce vieux comte de Rantzau, qui n’est plus bon à rien, et que l’on garde parceque son ancienne réputation d’habileté impose encore aux cours étrangères… j’ai la promesse formelle d’être nommé à sa place, et vous sentez que M. de Falkenskield et moi… le beau-père et le gendre à la tête des affaires… nous mènerons cela autrement. Ce matin, par exemple, je les voyais tous effrayés, cela me faisait sourire ; si l’on m’avait laissé faire, je vous réponds bien qu’en, un instant…

CHRISTINE, écoutant.

Taisez-vous !

GŒLHER.

Qu’est-ce donc ?

CHRISTINE.

Il m’avait semblé entendre dans le lointain des cris confus.

GŒLHER.

Vous vous trompez.

CHRISTINE.

C’est possible.