Page:Scribe - Bertrand et Raton, ou l'Art de conspirer, 1850.djvu/39

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voir. (À sa femme et à Jean.) Viens, femme partons.

JEAN.

J’aurai une place ! j’espère bien qu’elle sera bonne… sans cela. Je vous suis, notre maître.

(Raton, Marthe et Jean sortent par la petite porte a gauche.)

Scène XII.

RANTZAU, sortant de la porte à deux battants, à gauche ; KOLLER, debout, plongé dans ses réflexions, tenant toujours la lettre dans sa main.
KOLLER.

Grand Dieu ! monsieur de Rantzau !

RANTZAU.

Monsieur le colonel me semble bien préoccupé !

KOLLER, allant à lui.

Votre présence, monsieur le comte, est ce qui pouvait m’arriver de plus heureux, et vous attesterez au conseil de régence.

RANTZAU.

Je n’en suis plus, j’ai donné ma démission.

KOLLER, avec étonnement et à part.

Sa démission !… l’autre parti va donc mal ! (Haut.) Je ne m’attendais pas à un pareil événement, pas plus qu’à l’ordre inconcevable que je reçois à l’instant.

RANTZAU.

Un ordre !… et de qui ?

KOLLER, à demi-voix.

Du roi.

RANTZAU.

Pas possible !

KOLLER.

Au moment où, d’après l’ordre du conseil, je me rendais ici pour arrêter la reine-mère, le roi, qui ne se mêlait plus depuis long-temps ni du gouvernement ni des affaires de l’état, le roi, qui semblait avoir résigné toute son autorité entre les mains du premier ministre, m’ordonne, à moi Koller, son fidèle serviteur, d’arrêter, ce soir même, Mathilde et Struensée.

RANTZAU, froidement et après avoir regardé l’acte.

C’est bien la signature de notre seul et légitime souverain, Christian VII, roi de Danemarck.

KOLLER.

Qu’en pensez-vous ?

RANTZAU.

C’est ce que j’allais vous demander ; car ce n’est pas à moi, c’est à vous que l’ordre est adressé.

KOLLER, avec inquiétude.

Sans doute ; mais, forcé d’obéir au roi ou au conseil de régence, que feriez-vous à ma place ?

RANTZAU.

Ce que je ferais !… D’abord je ne demanderais pas de conseils.

KOLLER.

Vous agiriez ; mais dans quel sens ?

RANTZAU, froidement.

Cela vous regarde. Comme, en toute affaire, votre intérêt seul vous détermine, pesez, calculez, et voyez lequel des deux partis vous offre le plus d’avantage.

KOLLER.

Monsieur.

RANTZAU

C’est là, je pense, ce que vous me demandez, et je vous engagerai d’abord à lire attentivement la suscription de cette lettre ; il y a là : Au général Koller.

KOLLER, à part.

Au général !… ce titre qu’on m’a toujours refusé. (Haut.) Moi, général !

RANTZAU, avec dignité.

C’est justice : un roi récompense ceux qui le servent, comme il punit ceux qui lui désobéissent.

KOLLER, lentement et le regardant.

Pour récompenser ou punir il faut du pouvoir ; en a-t-il ?

RANTZAU, de même.

Qui vous a remis cet ordre ?

KOLLER.

Raton Burkenstaff, chef du peuple.

RANTZAU.

Cela prouverait qu’il y a dans le peuple un parti prêt à éclater et à vous seconder.

KOLLER, vivement.

Votre excellence peut-elle me l’assurer ?

RANTZAU, froidement.

Je n’ai rien à vous dire ; vous n’êtes pas mon ami, je ne suis pas le vôtre : je n’ai pas besoin de travailler à votre fortune.

KOLLER.

Je comprends. (Après un instant de silence et se rapprochant de Rantzau.) En sujet fidèle, je voudrais obéir aux ordres du roi… c’est mon devoir d’abord ; mais les moyens d’exécution.

RANTZAU, lentement.

Sont faciles… la garde du palais vous est confiée, vous commandez seul aux soldats qui y sont renfermés.

KOLLER, avec incertitude.

D’accord ; mais si l’on échoue.

RANTZAU., négligemment.

Eh bien ! que peut-il arriver ?

KOLLER.

Que demain Struensée me fera pendre ou fusiller.

RANTZAU, se retournant vers lui avec fermeté.

N’est-ce que cela qui vous arrête ?

KOLLER, de même.

Oui.

RANTZAU, de même.

Aucune autre considération ?

KOLLER, de même.

Aucune.