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FALKENSKIELD.

Je vous remercie de vos soins généreux, mais je veux savoir avant tout. Ah ! c’est M. de Gœlher ! eh bien ! mon ami, qu’y a-t-il ? parlez donc !


Scène VII.

CHRISTINE, RANTZAU, GŒLHER, FALKENSKIELD.
GŒLHER.

Est-ce que je sais ? c’est un désordre, une confusion. J’ai beau demander comme vous : Qu’y a-t-il ? comment cela se fait-il ? tout le monde m’interroge et personne ne me répond.

FALKENSKIELD.

Mais vous étiez là cependant… vous étiez au palais.

GŒLHER.

Certainement, j’y étais ; j’ai ouvert le bal avec la reine ; et quelque temps après le départ de sa majesté, je dansais le nouveau menuet de la cour avec mademoiselle de Thornston, lorsque tout-à-coup, parmi les groupes occupés à nous admirer, je remarque une distraction qui n’était pas naturelle ; on ne nous regardait plus, on causait à voix basse, un murmure sourd et prolongé circulait dans les salons… Qu’y a-t-il donc ? Qu’est-ce-que c’est ? Je le demande à ma danseuse, qui ne le sait pas plus que moi, et j’apprends par un valet de pied tout pâle et tout effrayé, que la reine Mathilde vient d’être arrêtée dans sa chambre à coucher par l’ordre du roi.

FALKENSKIELD.

L’ordre du roi !… et Struensée ?

GŒLHER.

Arrêté aussi, comme il rentrait du bal.

FALKENSKIELD, avec impatience.

Et Koller, morbleu ! Koller, qui avait la garde du palais, qui y commandait seul !

GŒLHER.

Voilà le plus étonnant et ce qui me fait croire que ce n’est pas vrai. On ajoutait que cette double arrestation avait été exécutée, par qui ? par Koller lui-même, porteur d’un ordre du roi.

FALKENSKIELD.

Lui, nous trahir ! ce n’est pas possible !

GŒLHER, à Rantzau.

C’est ce que j’ai dit, ce n’est pas possible ; mais en attendant on le dit, en le répète ; la garde du palais nie : Vive le roi ! le peuple appelé aux armes par Raton Burkenstaff et ses amis crie encore plus haut ; les autres troupes, qui avaient d’abord résisté, font maintenant cause commune avec eux ; enfin je n’ai pu rentrer à mon hôtel, devant lequel j’ai aperçu un attroupement ; et j’arrive chez vous, non sans danger, encore tout en émoi et en costume de bal.

RANTZAU.

C’est moins dangereux dans ce moment qu’en costume de ministre.

GŒLHER.

Je n’ai pas eu le temps depuis hier de commander le mien.

RANTZAU.

Vous pouvez vous épargner ce soin. Que vous disais-je hier ? Il n’y a pas vingt-quatre heures, et vous n’êtes plus ministre.

GŒLHER.

Monsieur !

RANTZAU.

Vous l’aurez été pour danser une contredanse, et après les travaux d’un pareil ministère vous devez avoir besoin de repos ; je vous l’offre chez moi, (vivement.) ainsi qu’à tous les vôtres, seul asile où vous soyez maintenant en sûreté, et vous n’avez pas de temps à perdre. Entendez-vous les cris de ces furieux ? venez, mademoiselle, venez… suivez-moi tous, et partons.

(Dans ce moment les deux croisées du fond s’ouvrent violemment. Jean et plusieurs matelots ou gens du peuple paraissent sur le balcon, armés de carabines.)


Scène VIII.

JEAN, en dehors du balcon, à gauche ; RANTZAU, CHRISTINE, FALKENSKIELD, GŒLHER.
JEAN, les couchant en joue.

Halte-là, messeigneurs, on ne s’en va pas ainsi.

CHRISTINE, poussant un cri et se jetant au-devant de son père, qu’elle entoure de ses bras.

Ah ! je suis toujours votre fille ! je le suis pour mourir avec vous !

JEAN.

Recommandez votre âme a Dieu !


Scène IX.

JEAN, RANTZAU ; ÉRIC, le bras gauche en écharpe, s’élance par la porte du fond et se montrant devant CHRISTINE, FALKENSKIELD et GŒLHER.
ÉRIC, à Jean et à ses compagnons, qui viennent de sauter du balcon dans la chambre.

Arrêtez !… point de meurtre ! point de sang répandu !… qu’ils tombent du pouvoir, c’est assez. (Montrant Christine, Falkenskield et Gœlher.) Mais au prix de mes jours je les défendrai, je les protègerai ! (Apercevant Rantzau et courant à lui.) Ah ! mon sauveur ! mon Dieu tutélaire !

FALKENSKIELD, étonné.

Lui ! monsieur de Rantzau !

JEAN et SES COMPAGNONS, s’inclinant.

Monsieur de Rantzau ! c’est différent ; c’est l'ami du peuple ; il est des nôtres.

GŒLHER.

Est-il possible !