ABIG. Et pourquoi rester isolée et sans famille, vous qui êtes jeune… qui êtes libre ?
LA REINE. Tais-toi… tais-toi !… C’est ce qu’ils disent tous, et, à les en croire, il faudrait se donner à un époux que je n’aurais pas choisi ; n’écouter que la raison d’État, accepter un mariage imposé par le parlement et la nation… Non, non… j’ai préféré ma liberté…j’ai préféré à l’esclavage, la solitude et l’abandon.
ABIG. Je comprends… quand on est princesse, on ne peut donc pas choisir soi-même… ni aimer personne ?
LA REINE. Non vraiment !
ABIG. Comment !… en idée, en rêve, il n’est pas permis de penser à quelqu’un ?
LA REINE, souriant. Le parlement le défend.
ABIG. Et vous n’oseriez le braver ? Vous n’auriez pas ce courage… vous, la reine ?
LA REINE. Qui sait je suis peut-être plus brave que tu ne crois !
ABIG. À la bonne heure !
LA REINE. Je plaisante !… C’est, comme tu le disais… un rêve ! une idée… un avenir mystérieux, des projets chimériques où l’imagination se complaît et s’arrête ! des songes que l’on fait, éveillée, et qu’on ne voudrait peut-être pas réaliser… même quand ce serait possible. En un mot, un roman à moi seule que je compose… et qui ne sera jamais lu.
ABIG. Et pourquoi donc pas ? une lecture à nous deux… à voix basse… que j’en connaisse seulement le héros.
LA REINE, souriant. Plus tard… je ne dis pas.