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piquillo alliaga.

heureux de passer sa vie avec Carmen, Aïxa et même Juanita ! À l’idée seule de renoncer pour quelques semaines à cette gracieuse existence, à ce monde enchanté où s’arrêtaient et se bornaient tous ses vœux, il sentait faiblir son courage et se repentait de son serment.

Je vous demanderai de faire remettre en liberté un Maure nommé Gongarello.

Mais il avait promis à sa mère !… à sa mère, qui n’était plus et qui ne pouvait lui rendre sa parole… Il fallait donc la tenir, c’était un devoir, et Piquillo ne savait point transiger avec ses devoirs.

Il fit ses adieux à ses jeunes amies, les priant de ne pas l’interroger sur le but de son voyage, et de lui pardonner une discrétion dont, plus que jamais, cette fois, il comprenait la nécessité. Il promit de revenir bientôt… le plus tôt possible ; d’autant qu’on attendait Fernand d’Albayda, qui avait annoncé son retour à Madrid comme très-prochain, et Piquillo comptait, pour son avenir, bien plus sur l’amitié de Fernand que sur la réception plus que douteuse de sa nouvelle famille.

— Adieu, lui avait dit Aïxa, n’oubliez pas les amis que vous laissez à Madrid. N’oubliez pas qu’ils partageront toujours vos joies et vos chagrins.

— Et vous, avait répondu Piquillo, et vous, Aïxa ! en quelque lieu que je sois, quelque danger qui me menace, quelque fortune qui m’attende, si jamais j’étais assez heureux pour que vous eussiez besoin de moi, dites un mot… je quitterai tout, je reviendrai.

Aïxa ne lui répondit pas, mais elle lui tendit la main d’un air ému, et avec un sourire de reconnaissance qui voulait dire :

— J’y compte.

Jetant un regard, non devant lui, mais en arrière, le jeune pèlerin partait avec peu d’espérance dans le cœur et beaucoup de regret. Il ne songeait point à ce qui l’attendait, mais à ce qu’il venait de quitter, et cette fois, nulle idée ambitieuse, nul rêve de fortune ou de puissance, n’abrégea pour lui les ennuis de la route.

Il avait près de quatre-vingts lieues à faire, et se dirigea vers Valence, en prenant, à l’est, par la province de Cuença.