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piquillo alliaga.

qu’ils avaient aperçue s’échappait d’un des volets du pavillon qui était entr’ouvert.

Le roi appela ; personne ne répondit. Il y avait, au-dessous de la croisée, une petite porte donnant sur la forêt.

Le roi frappa ; personne ne vint.

Sa Majesté, qui d’ordinaire était obéie, avant même d’avoir commandé, regarda le duc d’un air consterné. C’était comme un désastre, comme une révolution qui changeait toutes ses habitudes.

Un froid assez vif, l’air du soir et de la forêt, commençaient à les saisir ; la gaieté du roi était dissipée. Pour comble de malheur, le ciel était sombre, nuageux, et une petite pluie fine se mit à tomber. Vue des fenêtres du palais, c’eût été à peine un brouillard, mais dans la forêt, c’était autre chose.

— Voici une averse horrible ! s’écria le roi, qui n’aimait plus les aventures ; c’est insupportable… on ne peut pas rester dans une position pareille. Le duc avait frappé de nouveau à la petite porte, et paraissait lui-même fort déconcerté qu’on ne vint pas lui ouvrir.

— Nous ne pouvons pas cependant passer la nuit dans cette forêt, dit le roi, totalement découragé ; et quant à remonter à cheval dans ce moment et avant de m’être reposé, cela m’est impossible.

— Attendez, sire… attendez, dit le duc ; il me semble que le volet de ce pavillon est entr’ouvert.

— C’est vrai, et la fenêtre aussi.

— Puisque personne ne répond, c’est qu’il n’y a personne.

— Eh bien, duc ?

— Eh bien ! si Votre Majesté y entrait, elle y trouverait du moins un abri contre le froid et la pluie. Moi, pendant ce temps, je remonterai à cheval, et rien qu’en suivant les murs de ce parc, quelque étendu qu’il soit, je finirai toujours par trouver la maison d’habitation, et je viendrai alors reprendre Votre Majesté.

— À merveille ! j’approuve ! Mais comment veux-tu que j’entre dans ce pavillon ?

— Comme je vous ai dit, sire, par cette fenêtre qui est entr’ouverte.

— Mais elle est à douze ou quinze pieds de terre.

— Dix tout au plus.

— C’est encore trop, sans échelle, pour un homme seul.

— Mais pour un homme à cheval.

— Que voulez-vous dire ?

— Si Votre Majesté veut le permettre, je vais descendre de cheval et ranger le sien le long de la muraille ; il est extrêmement doux… et puis il est fatigué.

— Il n’est pas le seul, dit le roi.

— Je vais le tenir par la bride… je réponds qu’il ne bougera pas.

— Eh bien ? dit le roi avec impatience.

— Eh bien ! si Votre Majesté, tout en s’appuyant contre la muraille, veut monter debout sur la selle, elle se trouvera presque à la hauteur de la croisée, et en s’aidant un peu des mains…

— C’est, ma foi, vrai, dit le roi d’Espagne, qui, à mesure que parlait son conseiller, venait d’exécuter tout ce qu’il lui avait indiqué. C’est charmant, c’est. comme qui dirait monter à l’assaut.

— En brave militaire, en fier Castillan… à l’escalade !

— Ça ne m’était jamais arrivé, dit le roi. M’y voici, ajouta-t-il en enjambant.

— À merveille, sire, dit le duc en remontant à cheval. Que Votre Majesté se repose et m’attende, dès que je saurai où nous sommes, je reviendrai vous avertir et vous reprendre, et quand je frapperai fortement trois coups à cette porte, n’oubliez pas de descendre ; c’est par là cette fois que Votre Majesté sortira, car je vais m’arranger, n’importe à quel prix, pour en avoir la clé.

Le duc partit au galop, emmenant son cheval et celui de Sa Majesté.

Le roi alors quitta la croisée qui donnait sur l’allée du bois et se retourna. Il était dans une espèce d’antichambre fort élégante, qu’éclairait une lampe d’albâtre, placée sur une table de marbre.

Une porte en bois des îles habilement sculptée était à sa gauche ; il l’ouvrit, et se trouva dans une pièce si richement illuminée, que l’éclat des bougies pensa l’éblouir, lui qui venait de l’obscurité. Cette salle, ornée de peintures rares et de meubles les plus précieux, offrait, entre autres singularités, une table sur laquelle on apercevait, non du lait et du pain bis, mais une splendide collation, avec un seul couvert.

Un feu brillant pétillait dans une cheminée de marbre.

Mais, du reste, personne, pas une âme vivante.

Le roi étonné se frottait les yeux ; il ne pouvait croire à ce qu’il voyait ; plus que jamais, les aventures lui paraissaient agréables, et il se disait, en lui-même, que si elles ressemblaient toutes à celle-ci, il était bien dupe de n’avoir pas commencé plus tôt.

Cette jolie salle avait encore une autre porte ; le roi, devenu intrépide, l’ouvrit hardiment.

Personne encore !

— Partout la solitude et le silence, mais le réduit le plus joli, le plus coquet, ce que de nos jours on appellerait un boudoir. Des girandoles garnies de bougies brillaient de tous côtés, et près de la cheminée, au brasier ardent, un large canapé offrait à Sa Majesté, pour se reposer de ses fatigues, des coussins soyeux et rebondis.

Le roi commençait à croire à la magie, et se demandait si, lui, le roi Catholique, pouvait rester plus longtemps en ces lieux… quand, vis-à-vis de lui, une porte cachée dans la tapisserie s’ouvrit tout à coup.

Une jeune fille d’un aspect ravissant, les yeux brillants de gaieté et le sourire sur les lèvres, parut devant lui.

Sa Majesté le roi d’Espagne et des Indes n’avait jamais rien vu de plus joli, de plus séduisant, de plus enchanteur que cette figure de jeune fille ; il la regardait d’un œil à la fois étonné et ravi ; il n’osait parler, de peur que cette apparition ne s’évanouit et ne se dissipât comme une ombre.

Étendant les bras vers elle pour la saisir et l’arrêter, il allait tomber à ses genoux, mais sa surprise redoubla, et il se releva en entendant ces paroles, qu’accompagnait une gracieuse révérence :