Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
piquillo alliaga.

nand d’Albayda partait lui-même pour le délivrer ? Ribeira et Sandoval avaient à s’occuper de tant d’autres choses plus importantes, l’une à Valence, l’autre à la cour, que l’affaire de Piquillo fut tout à fait oubliée, et que le corrégidor et la police d’Alcala continuèrent à rester sur pied et à observer, aux frais du gouvernement. L’homme au manteau noir à qui Piquillo s’était adressé pour demander la boutique du barbier, était un alguazil, par la raison qu’à cette heure-là tous les bourgeois étaient rentrés chez eux, et que les alguazils seuls rôdaient et faisaient le guet. Celui-ci s’était étonné de voir, la nuit, un révérend père s’informer de la demeure du barbier…

Il l’avait alors suivi de loin, machinalement et par habitude, plutôt que par dessein arrêté. L’alguazil ne raisonne pas, il observe ou écoute, et en se glissant le long de la muraille, celui dont nous parlons avait entendu Piquillo décliner son nom pour obtenir l’hospitalité.

L’alguazil avait prévenu trois de ses compagnons, qui, ravis de gagner la récompense promise par l’archevêque, n’avaient point fait part à d’autres de la découverte, mais avaient surveillé la maison du barbier et fait toutes leurs dispositions pour que, le lendemain de grand matin, leur capture fût remise entre les mains de Manuelo Escovedo, sous-officier de la sainte inquisition, préposé à la réception et à l’écrou des prisonniers.

Acte en bonne forme fut donné aux quatre alguazils du dépôt qu’ils venaient de faire, et Escovedo procéda aussitôt après leur départ à un petit interrogatoire sommaire.

— Vous êtes Piquillo, Piquillo Alliaga ?

— Oui, mon père.

— Et je dois vous incarcérer à la demande de monseigneur l’archevêque de Valence pour refus de baptême.

— J’ai été baptisé.

— Ah ! ah ! dit le greffier étonné, voilà qui est singulier… Alors je dois vous incarcérer pour avoir, vous laïque, porté l’habit religieux, l’habit de moine, sous lequel vous avez été pris.

— Mais j’ai prononcé des vœux, je suis religieux, je suis moine, dit Alliaga.

— Ah ! ah ! c’est encore plus singulier, dit le greffier ; alors je dois vous incarcérer comme vous étant échappé du couvent des jésuites dont vous faites partie.

— Mais je ne suis point jésuite et ne veux point m’engager dans leur ordre.

— Par saint Jacques ! dit le greffier impatienté, il faut pourtant bien que je vous incarcère pour quelque chose… et il écrivit : Incarcéré comme n’étant pas des nôtres.

— Au contraire, s’écria Piquillo, je viens vous demander à en être. Je serai, si vous le voulez, de l’ordre des dominicains.

— Est-il possible !

— Celui-là ou un autre, peu importe, pourvu que je sois libre à l’instant même.

— Je vais inscrire votre demande, dit le greffier, et vous serez dominicain ; mais libre… je ne peux pas vous en répondre. Vous avez été amené ici pour être incarcéré ; bien plus, je viens d’écrire que vous l’étiez : voyez vous-même… Il ne peut y avoir de ratures sur mes registres. Il faut que j’en réfère à l’autorité supérieure.

— Et moi, il faut que je sois libre ! s’écria Piquillo avec désespoir.

— Cela finira par là, mais je dois soumettre l’affaire au conseil suprême du saint-office, qui la soumettra au grand inquisiteur.

— Et combien cela durera-t-il ?

— Un mois au plus, vu que nous avons peu d’affaires courantes. C’étaient les auto-da-fé qui nous en donnaient le plus, et ils sont eu souffrance en ce moment ; il faut espérer que cela reprendra.

— Un mois ! s’écria Alliaga sans écouter la fin de la phrase du greffier, un mois !.. Et pendant ce temps, se disait-il en lui-même, la comtesse… et Aïxa… Il serait trop tard… je ne pourrais plus les sauver !

— Mon frère, dit-il à voix haute, il faut que je sorte à l’instant même ; il y va d’une affaire de la dernière importance… de la vie de quelqu’un !

— L’inquisition ne se mêle pas de cela.

— Eh bien ! reprit Alliaga, frappé d’une idée soudaine, faites dire au grand inquisiteur que je demande à voir le duc de Lerma. J’ai une révélation à lui faire… à lui, à lui-même ! révélation qui intéressa le salut de l’État et le sort du ministre.

— Ah bah ! dit le greffier étonné, racontez-moi | donc cela.

— Je vous ai déclaré que je ne pouvais le confier qu’à lui-même… vous voyez donc bien qu’il faut que je sorte, ou que du moins on me conduise vers lui… dans le palais, et si vous ne le faites pas, c’est vous, seigneur greffier, qui serez responsable de tous les malheurs qui arriveront.

— C’est différent, s’écria Manuelo Escavedo… vous m’annoncez là une chose qui mérite considération. Emmenez le prisonnier, dit-il aux familiers du saint-office… pour la forme seulement et pour la régularité de mes écritures… car dès qu’il aura signé sa demande, ce jeune frère peut se considérer comme de l’ordre de Saint-Dominique. Je vais référer de tout cela à nos bons pères… Adieu, mon frère, dit-il en saluant Alliaga de la main… à bientôt !

Mais toute une semaine se passa avant que le greffier eût parlé aux assesseurs, qui en parlèrent aux juges, lesquels en firent un rapport au conseil suprême, et Piquillo attendait dans les murs du saint-office, et les jours d’Aïxa étaient menacés !


XLV.

la favorite.

Aïxa, à son retour de Tolède, n’avait plus voulu demeurer chez la comtesse d’Altamira. Veuve, maîtresse d’elle-même, et duchesse de Santarem, c’est elle qui à son tour avait offert à Carmen asile et protection dans son hôtel. Carmen devait demeurer avec sa sœur et amie jusqu’à son mariage avec Fernand d’Albayda,