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piquillo alliaga.


On le transporta dans la tente d’Yézid ; les soins qu’on lui prodigua le rappelèrent à la vie.

— Ah ! se dit Alliaga en lui-même, voilà, d’ici à longtemps, les seuls produits de cette terre.

Les alguazils et les familiers du saint-office se rangèrent respectueusement en apercevant le carrosse aux armes du roi et le cortége de Luis Alliaga. Celui-ci vit alors derrière les hommes vêtus de noir une trentaine de malheureux, pâles, amaigris, presque sans vêtement et enchaînés deux à deux.

— Qu’est-ce, monsieur l’alguazil ? demanda Piquillo au chef de la troupe.

— Des Maures que nous dirigeons sur Valence ; des Maures de l’Aragon et des deux Castilles qui sont en retard. Mais, que voulez-vous, mon révérend, on ne peut pas tout faire à la fois. Il y en avait tant de ces hérétiques ! on en trouve de tous les côtés, et il faudra encore bien des mois avant que l’ordonnance de Sa Majesté soit entièrement exécutée.

— Mais l’ordonnance du roi ne dit pas qu’ils seront, ainsi que des malfaiteurs, trainés et enchainés deux à eux.

— C’est vrai, mon révérend, mais c’est plus commode.

— Pour eux ?

— Non, pour nous ; ils sont ainsi plus faciles à garder.

— Le roi n’entend pas non plus qu’ils soient ainsi presque nus. On les a donc dépouillés de leurs vêtements ?

— Pour voir, mon révérend, s’ils ne cachaient point sur eux de l’or ou des bijoux ; mais c’est une horreur ! ces Maures, qu’on disait si riches, n’ont rien, pas un maravédis !

— C’est tout simple, l’édit ne leur a-t-il point défendu, sous peine de mort, de rien emporter avec eux ?

— Oui, monseigneur, mais ces mécréants sont si obstinés, si endurcis, qu’ils ont caché ou enfoui tous leurs trésors ; on n’a trouvé presque rien, et ça sera perdu pour tout le monde.

— Ah ! dit Piquillo en lui-même, le duc de Lerma et Sandoval n’avaient pas pensé à cela.

Il fit ouvrir la portière de la voiture et descendit.