Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
362
piquillo alliaga.

s’était empressé de gagner le palais de l’inquisition, et Yézid y était entré, tout étonné d’y trouver un refuge.


LXXXII.

le couvent des annonciades.

La comtesse d’Altamira, frappée d’exil, voyant le duc de Lerma renversé, et apprenant quelques jours après, l’expulsion du père Jérôme, d’Escobar et de toute la Compagnie de Jésus, la comtesse s’était dit que trois coups si décisifs portés à la fois n’avaient pu l’être que par une main ferme et résolue. Ce ne pouvait être celle du duc d’Uzède, son ancien ami, qu’elle connaissait trop bien pour le soupçonner d’un pareil acte de vigueur. Évidemment il était l’agent, le prête-nom d’une volonté plus puissante. Elle cessa donc de le haïr, se contentant de le mépriser, et, ne désespérant pas de le ramener plus tard, dirigea ses efforts contre cette volonté qui dirigeait toutes les autres. C’était celle d’Alliaga. Lui et la duchesse de Santarem régnaient en ce moment et avaient tout pouvoir sur le roi : l’un par son esprit, l’autre par sa beauté. C’étaient là les deux ennemis à renverser, et comme la comtesse ne pouvait y parvenir à elle seule, elle devait songer à se faire de nouveaux alliés.

La comtesse commença par assister avec assiduité et ferveur aux prédications furibondes du pieux Ribeira, le grand inquisiteur. Placée au premier rang, au-dessous de la chaire, et remarquable par l’élégance de sa toilette, elle ne perdait ni une de ses paroles ni un de ses regards. Quoique prédicateur on est homme, c’est-à-dire accessible à l’amour-propre, et surtout à l’amour-propre d’auteur, le plus insinuant de tous. L’attention de la comtesse le flatta, et quand elle le supplia de vouloir bien désormais diriger sa conscience, ce fut lui qui la remercia.

Une fois en relation avec l’archevêque, elle n’eut pas de peine à exciter son animosité contre Alliaga. C’était déjà à moitié fait. Les pieuses rancunes sont implacables, et le saint prélat n’avait jamais pardonné à Piquillo de s’être laissé convertir par d’autres que par lui. Il avait, depuis ce temps, conservé contre le nouveau chrétien un fonds de haine qui eût toujours produit, même si Piquillo ne fût pas devenu confesseur du roi, à plus forte raison depuis qu’il balançait par cet emploi la puissance même du grand inquisiteur.

La comtesse avait signalé aussi à Ribeira un fait qui l’affligeait profondément. Elle ne pouvait voir sans douleur sa nièce, Carmen, la future abbesse du couvent des Annonciades, donner asile à la duchesse de Santarem et à ses compagnes, qui, après tout, étaient du sang et de la religion mauresques. C’était un véritable scandale.

Il n’en fallait pas tant pour soulever la colère et l’éloquence du grand inquisiteur. Le matin même de l’arrivée du roi, il avait tonné en chaire contre les filles du Seigneur qui profanent les lieux saints par la présence impure des infidèles. Le couvent des Annonciades n’était pas nommé, mais il était si bien désigné qu’il était impossible de s’y méprendre, et la foule avait témoigné par ses murmures combien elle s’associait à l’indignation du prélat. Le feu couvait sous la cendre ; il ne s’agissait plus que de l’animer et de lui donner de l’extension.

La comtesse avait pris à son service l’ancien valet de chambre du roi, qui, ainsi qu’elle, maudissait l’ingratitude et l’injustice des cours ; elle l’avait à peu près initié à ses desseins. Il s’agissait de trouver, pour exciter les passions de la multitude, quelques-uns de ces hommes hardis et remuants, lesquels, quoi qu’il arrive, n’ont rien à perdre et tout à gagner.

M. de Latorre avait justement trouvé à la comtesse ce qu’elle désirait : c’était un ancien capitaine mécontent qui s’était battu sur terre et sur mer. Plein de bravoure, et sans argent pour le moment, il arrivait de la côte d’Afrique, où il avait conduit une cargaison de Mauresques. Son navire, le San-Lucar, un navire superbe, avait échoué au service du gouvernement, et le ministre lui refusait des indemnités.

La comtesse voulut faire connaissance avec ce digne capitaine, que nos lecteurs ont reconnu déjà, et qui n’était autre que Juan-Baptista. Quand elle lui eut donné à entendre qu’il s’agissait de perdre Piquillo et la duchesse de Santarem, il s’écria si vivement qu’il le ferait pour rien, que la comtesse, ne voulant pas se laisser vaincre en générosité, lui donna une bourse pleine d’or. Il l’accepta, non pour lui, mais pour ses braves compagnons, car il n’était pas seul : il avait avec lui tout son équipage, circonstance qui charma la comtesse autant que la prestance et la galanterie du capitaine, qui ne la quitta qu’après lui avoir juré serment de fidélité.

Alliaga cependant avait vu avec inquiétude l’aspect de la ville à l’entrée du roi. Il s’alarmait de l’indifférence du peuple pour le monarque et de son empressement à courir au-devant des victimes qu’on lui amenait ; il prévoyait qu’il y aurait de rudes combats à soutenir pour délivrer Yézid, et que le grand inquisiteur ne lâcherait pas aisément sa proie. Il fallait, et avant que la discussion s’envenimât, se hâter de mettre en liberté don Fernand, qui, par sa position, son influence, et surtout son énergie, pouvait rendre de grands services à la cause qu’il avait déjà si noblement défendue. Il parla dans ce sens au duc d’Uzède, qui hésita et refusa presque. Alliaga fronça le sourcil.

— C’est mon ennemi personnel, s’écria le nouveau ministre ; il m’a autrefois insulté. Non pas que je veuille pour cela le mettre sous les verrous, mais puisqu’il y est, la loyauté me permet de l’y laisser.

— Elle vous ordonne au contraire de le délivrer, monseigneur, et je suis persuadé, ajouta-t-il en appuyant d’un ton un peu menaçant, que telle est l’intention de Votre Éminence.

— Certainement, dit le duc en se mordant les lèvres ; et il signa d’un air de mauvaise humeur la lettre que lui présentait Alliaga, et qui était à peu près ainsi conçue :

 « Monsieur le grand inquisiteur,

« Don Fernand d’Albayda, officier du roi, n’est