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piquillo alliaga.

Aïxa poussa un cri d’effroi.

— Et vous ne voudriez pas, continua la comtesse, sacrifier, pour des étrangères et des infidèles, ces jeunes filles confiées à votre garde.

— Madame la comtesse a raison, dit froidement Aïxa. Mes sœurs et moi avons déjà vu la mort de plus près encore. La terre d’Espagne nous a maudites et doit nous servir de tombeau. Mais l’hospitalité qu’on nous a donnée ne sera fatale qu’à nous.

Allons, dit-elle à Juanita, allons nous livrer à nos bourreaux.

— Je ne le souffrirai pas ; retenez-la, empêchez-la de sortir ! dit Carmen aux religieuses qui accouraient en foule autour d’elle. C’est moi qui vous l’ordonne ! moi, votre abbesse !

— Tu ne l’es pas encore ! s’écria Aïxa.

— Je le suis, dès qu’il y a du danger ! répondit avec énergie la jeune fille jusque-là si douce et si timide. Apportez-moi mes habits… mes plus riches habits ; hâtez-vous.

Et couverte, des insignes du commandement, elle descendit dans la cour du couvent d’un pas ferme et suivie de toutes ses religieuses.

À la vue de ces jeunes fronts si candides et si purs, de ces filles vêtues de blanc et s’avançant intrépidement au-devant des meurtriers, un sentiment d’émotion et de respect circula dans tous les rangs. Il se fit un profond silence.

Carmen en profita pour s’approcher de la grille.

— Que voulez-vous ? Que demandez-vous ?

— Qu’on nous livre les hérétiques, dit un des chefs, qui n’était autre que Juan-Baptista. Elles ont mérité la mort.

— Ce n’est pas à nous de les juger, mais de les défendre, puisqu’elles nous ont demandé l’hospitalité.

— En les défendant, craignez notre colère.

— En les trahissant, je craindrais celle du ciel.

— Nous les refuser, c’est vous exposer à la mort.

— Vous livrer leur sang, c’est m’exposer à la damnation éternelle.

— Nous les aurons malgré vous, dit le bandit en secouant la grille avec force.

— Le premier qui osera violer les priviléges de ce couvent et franchir cette clôture, qui est sacrée, sera maudit sur terre et maudit dans le ciel ! s’écria Carmen avec force.

À ces paroles, le peuple recula de quelques pas avec crainte ; il ne resta près de la grille que Juan-Baptista et une douzaine de ses compagnons qui tentaient ainsi que lui de briser ce rempart.

— Anathème sur vous ! continua Carmen en étendant les bras, anathème !

Le peuple tomba à genoux et cria au capitaine et aux siens, à demi-voix :

— Retirez-vous ! retirez-vous ! N’entendez-vous pas qu’elle vous menace de l’anathème ?

— Eh ! que m’importe ? se disait Juan-Baptista en lui-même, j’ai deux cents ducats à gagner et je les gagnerai.

Mais il se retourna et vit que le peuple se retirait ; il allait presque rester seul.

— Eh bien, s’écria-t-il avec colère, nous ne franchirons point cette clôture, puisqu’elle est sacrée. Mais, sans pénétrer dans cette enceinte, nous trouverons moyen d’en faire sortir les hérétiques ou de les exterminer.

— À la bonne heure ! à la bonne heure ! s’écria le peuple en se rapprochant de lui.

En ce moment, le vent soufflait avec violence : le couvent, situé sur la hauteur, formait un vaste carré ; excepté l’entrée principale, fermée par une grille en fer, tout le reste était bâti en bois ou en constructions très-légères. Non loin de là était un maréchal ferrant ; Juan-Baptista et les siens coururent à sa forge, tout le peuple les imita, en un instant des milliers de brandons furent jetés en cent endroits différents, contre les murailles ou la toiture du couvent ; l’incendie se déclara sur tous les points, et le vent qui l’alimentait le rendit bientôt impossible à éteindre.

Les religieuses, effrayées, éperdues, sonnèrent les cloches du couvent pour appeler à leur secours. Les cloches de la ville répondirent à ce cri d’alarme, et c’est à ce bruit que Piquillo, hors de lui, s’était élancé dans les rues de Pampelune, priant le ciel de l’inspirer et de lui venir en aide. La citadelle, qui était voisine du lieu de l’incendie, ne renfermait pas de garnison, et, ainsi que nous l’avons déjà dit, pas un seul régiment, pas un seul soldat n’avait escorté le roi à son entrée.

Le grand inquisiteur, accouru à la hâte, ne savait que faire, que résoudre, et le duc d’Uzède avait aussi perdu la tête. Alliaga seul avait conservé la sienne. Le désespoir lui avait donné du sang-froid.

Il ordonna à tout ce qu’il y avait de familiers du saint-office et d’alguazils disponibles de se rendre à l’endroit du désastre. Il commanda à tous les bourgeois, qui accouraient armés de hallebardes, de le suivre. Plusieurs refusèrent, attendu que l’incendie du couvent ne les regardait pas.

— Les maisons voisines sont déjà la proie des flammes, répondit Alliaga, et par le vent qui souffle de la montagne, toute la ville de Pampelune, qui est bâtie en bois, sera bientôt la proie de l’incendie. Si cela vous convient, messeigneurs, soit, restons ici.

Et il se croisa les bras.

— Courons ! s’écrièrent les hallebardiers, qui étaient presque tous propriétaires.

Alliaga ne courait pas, il volait, et ne s’arrêta qu’à la vue de l’horrible spectacle qui s’offrit à ses yeux.

Les deux parties latérales du couvent étaient déjà totalement la proie des flammes. Les religieuses, forcées de fuir l’incendie, s’élançaient hors de leurs murailles embrasées et étaient recueillies par la multitude, qui ouvrait ses rangs devant elles avec respect et leur donnait asile. Mais toutes celles qui ne portaient pas l’habit des nonnes, toutes les jeunes filles qu’à leur costume on reconnaissait pour Mauresques, étaient repoussées et rejetées dans le foyer de l’incendie, et la flamme qui les enveloppait les avait bientôt dévorées.

Dans cet auto-da-fé d’un nouveau genre, les acclamations et les hurlements de joie de la foule se mêlaient aux cris des victimes pendant que d’autres, plus dévots ou plus féroces, entonnaient un chant de