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piquillo alliaga.

permis à Piquillo de descendre, celui-ci ne l’aurait pu sans être brûlé vif. Il réfléchit alors qu’un arbre centenaire, qui formait à lui seul un immense bûcher, serait longtemps encore à se consumer entièrement, que le feu allait prendre probablement aux arbres voisins, et quelques touffes de taillis commençaient déjà à brûler, grâce aux branches et aux charbons enflammés qui retombaient de toutes parts. La lueur de l’incendie devait d’ailleurs avertir et amener du monde des environs.

Le capitaine, dont la vengeance était assouvie, se souciait maintenant aussi peu de Piquillo que de ses compagnons défunts ; pour lui, tous ces souvenirs-là étaient de la fumée. Il se trouvait seul, il est vrai, mais grâce aux subsides que Piquillo venait de lui fournir, il avait de l’or dans sa poche, du courage au cœur, et de hardis projets en tête. Il jeta un dernier regard sur la pyramide de feu qui s’élevait toujours, et se dit en haussant les épaules avec mépris :

— La guerre à moi !… la guerre !

Puis s’élançant sur la grande route, il s’éloigna sans regret, peut-être même sans remords.

Pendant ce temps, et au moment où sa demeure avait commencé à être incendiée, Piquillo avait successivement cherché un asile sur des branches plus élevées, et c’est là qu’il tenait conseil. L’arbre était immense, sa cime se perdait dans la nue ; mais le feu gagnait à chaque instant de l’espace, et la fumée surtout était incommode. Il est vrai qu’elle n’était point, comme dans nos maisons, renfermée dans un étroit conduit, elle s’élevait en plein air, et arrivée à une certaine hauteur, elle s’étendait chassée par le vent, et se dissipait promptement. Piquillo avait eu soin de se maintenir dans une région supérieure ; mais sa situation n’en était pas moins terrible. Il avait vu toute la population ailée qui l’entourait, tous les autres habitants de l’arbre, s’enfuir à l’approche du danger et chercher un asile au fond de la forêt. Hélas ! il ne pouvait les suivre ; lui seul était resté sur ce bûcher vert, pour y subir un affreux supplice, pour y mourir dans une longue et horrible agonie, qu’il ne voyait aucun moyen d’éviter.

De loin il avait bien aperçu son ennemi disparaître dans la forêt ; mais le capitaine avait, en partant, trop bien assuré sa vengeance, pour craindre que désormais elle pût lui échapper, et Piquillo essaya vainement de redescendre.

Tout le premier tiers de l’arbre était en feu, et contemplé ainsi de haut, offrait l’aspect d’une large fournaise. Le pauvre captif voulut alors se glisser à l’extrémité d’une des branches qui s’étendait le plus au loin, pour se précipiter au delà et en dehors de l’incendie. Inutile espoir. Il était à quarante ou cinquante pieds de terre, et il devait se broyer dans une pareille chute.

Pour comble de malheur, le chêne antique où il était emprisonné, en plein air, était isolé et trop éloigné de tous les autres arbres pour qu’il fût possible de s’élancer sur quelques branches voisines. Ce chêne était placé, il est vrai, au bord de la route ; mais personne ne paraissait, et les cris du malheureux ne pouvaient se faire entendre ; quand même quelques voyageurs fussent passés par hasard, ils n’auraient pu porter secours à Piquillo, ni arrêter les progrès de l’incendie.

Alors le pauvre enfant, regardant autour de lui et voyant sa mort certaine, inévitable, se prit à pleurer. De qui pouvait-il attendre consolation ou pitié ? Il était seul au monde ! seul. Non !… un rayon d’espérance venait de glisser dans son cœur : il se rappela que, prête à mourir, Juanita avait prié le Dieu de ses pères !

— Je ferai comme elle ! s’écria-t-il en levant les yeux au ciel.

Et il se mit à prier pendant que la flamme montait toujours.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! disait-il, mourir si jeune ! quand la vie s’ouvrait devant moi, quand je la connaissais à peine ! quand, cette nuit encore, de si doux rêves berçaient mon sommeil, et tout est fini, et je meurs ! et cette vie qui va m’être enlevée, je n’ai pu l’employer, mon Dieu, qu’à une bonne action, à une seule ! Laissez-moi vivre encore.

Et la flamme montait toujours !

— Vous m’avez tout refusé, mon Dieu ! jusqu’à l’amour et aux baisers d’une mère ! pauvre enfant abandonné par elle, mendiant et vagabond, ayant la rue pour patrie et le pavé pour demeure, demandant mon pain au travail, et forcé de le recevoir d’un bandit ; si j’ai été coupable en le suivant, si par lui j’ai fait du mal, si j’ai aidé à commettre des crimes, laissez-moi le temps de les réparer ; laissez-moi vivre !… pitié, mon Dieu, ayez pitié de moi !

Et la flamme montait toujours !

— Ah ! si vous me permettiez d’échapper à ce danger qui m’environne ; si vous veniez m’arracher à ces flammes qui déjà m’atteignent, à ces torrents de fumée qui me suffoquent et m’oppressent… je croirais en vous, mon Dieu, et je vous servirais ! et ces jours que vous m’auriez conservés seraient les jours d’un honnête homme. Je les emploierais, non pour moi, mais pour mes amis, pour mes frères. Je ferais pour eux ce que vous auriez fait pour moi… mon bras ne s’étendrait que pour leur porter secours… et pour les sauver… je le jure, mon Dieu, je le jure… recevez mon serment !

Et la flamme montait toujours !


VII.

la délivrance.

La flamme montait toujours !

Mais la prière du pauvre enfant montait plus haut encore. Dieu l’entendit, sans doute, et voulut qu’elle fût exaucée. Le ciel, obscurci depuis le matin par de lourdes et d’épaisses vapeurs, commença à se sillonner d’éclairs, puis un éclat terrible ébranla le chêne où priait Piquillo… Une longue traînée de feu parcourut l’horizon et déchira le nuage immense qui couvrait la forêt ; à l’instant toutes les cataractes du ciel parurent s’ouvrir, l’eau tomba par torrents, et Piquillo, sur la cime de l’arbre, et les yeux levés vers le ciel, s’écriait dans l’extase de sa joie :