PANTHEE A PERINTHE.
Il paroiſt aſſez par ce que vous me dittes du Prince Abradate, & de l’illuſtre Cleandre, & par ce que la Renommée m’en aprend, que la victoire eſt bien plus un effet de leur courage que de mes vœux : je ne laiſſeray pourtant pas d’en faire pour l’augmentation de leur gloire, qui n’ira jamais ſi loin que je le deſire. Pour la voſtre, Perinthe, je la trouvue à un ſi haut point, qu’il ne me ſemble pas poſſible de vous en ſouhaiter davantage : car enfin eſtre loüé par un Prince qui merite tant de loüanges luy meſme, eſt un honneur ſi grand, que je croy que toute voſtre ambition en doit eſtre ſatisfaite. Cependant comme voſtre modeſtie vous auroit empeſché de me dire de vous meſme, ce qu’Abradate m’en a dit, je luy ſuis bien obligée de me l’avoir apris : quoy que d’ailleurs je ſois bien marrie de la peine qu’il en a euë. Aſſurez le que comme il a augmenté l’eſtime que je faiſois de vous, vous avez du moins confirmé puiſſamment celle que je faiſois deſja de luy. Apres cela, n’ attendez pas que je vous rende nouvelles pour nouvelles : ſi ce n’eſt que je vous aprenne que Doraliſe vous accuſe touſjours, & veut abſolument que les belles choſes que vous faites, ſoient pluſtost attribuées à la paſſion ſecrette qu’elle croit que vous avez dans le cœur, qu’à voſtre propre courage. Pour moy qui ſuis plus equitable, je ſoustiens voſtre party autant que je puis : Adieu, aſſurez Abradate & Cleandre, que la victoire les ſuivra par tout, ſi la Fortune fuit mes intentions.
PANTHEE.
Perinthe leût ſi mal toute cette Lettre, mais principalement la fin, qu’Abradate la luy demandant civilement, fut contraint de la relire pour l’entendre : luy diſant en riant qu’il n’auroit jamais penſé qu’un homme qui eſcrivoit ſi bien, euſt pû lire de cette ſorte. Mais Dieux, que ne ſouffrit point le pauvre Perinthe, en voyant la joye qu’avoit Abradate en reliſant cette Lettre ! car encore que ce qu’il y voyoit pour luy, ne fuſt qu’une ſimple civilité, il ne laiſſoit pas d’en avoir une ſatisfaction extréme. Le plaiſir de voir ſeulement ſon Nom eſcrit de la main de Panthée, luy donnoit un tranſport de joye eſtrange : auſſi apres l’avoir leuë haut, il la reliſoit bas d’un bout à l’autre : en ſuitte il en revoyoit ſeulement quelques endroits : mais quoy qu’il pûſt faire, il ne la rendoit point à Perinthe, de qui le chagrin eſtoit encore plus exceſſif, que la joye d’Abradate n’eſtoit grande. Non ſeulement il eſtoit au deſespoir, que la Princeſſe euſt reſpondu ſi civilement pour ce qui regardoit Abradate : mais il craignoit encore que Doraliſe ne fuſt retonbée dans les ſoubçons qu’elle avoit eûs de ſon amour, & qu’a la fin elle n’en deſcouvrist quelque choſe. Il jugeoit pourtant bien qu’elle n’en avoit encore rien dit à Panthée : eſtant aſſez fortement perſuadé, que ſi elle euſt sçeu ſon amour, elle ne luy en auroit pas eſcrit. Ainſi ayant l’eſprit remply de cent penſées differentes, ſans qu’il y en euſt une ſeule d’agreable, il paroieeoit ſans doute aſſez inquiet. Tout ce que la Princeſſe luy diſoit d’obligeant dans ſa Lettre, ne le ſatisfaisoit point du tout : parce que les loüanges qu’elle donnoit à Abradate, luy oſtoient toute la douceur qu’il euſt trouvée à la civilite qu’elle avoit pour luy.
Cependant comme Cleandre vouloit obliger Abradate, & qu’il n’avoit garde de ſoubçonner que Perinthe fuſt amoureux de Panthée, il luy dit qu’il faloit pour ſa ſatisfaction, qu’il luy laiſſast la Lettre de la Princeſſe : en effet, luy dit il, Perinthe, il eſt aiſé de voir qu’ele eſt autant pour Abradate que pour vous. Eh de grace (adjouſta ce Prince amoureux en embraſſant Perinthe) accordez moy ce que Cleandre vous demande en ma faveur, & ce que je n’oſois vous demander : Seigneur (repliqua Perinthe fort ſurpris & fort embarraſſé) puis que vous dittes vous meſme que vous n’oſiez me demander ce que vous deſirez, il eſt à croire que vous connoiſſez bien que je ne dois pas vous l’accorder. En effet, pourſuivit il, que diroit la Princeſſe, ſi je faiſois ce que vous voulez ? car Seigneur, plus vous eſtes digne d’avoir cette Lettre entre vos mains, plus le dois craindre d’offencer Panthée en l’y remettant : ſi elle avoit eu intention que vous euſſiez une Lettre d’elle, elle vous auroit eſcrit ſeparément : mais cela n’eſtant pas, vous ne trouverez point