eu l’ame aſſez libre, pour eſtre capable d’engager à l’aimer. Ainſi ſans avoir un deſſein formé de l’aſſujettir, elle faiſoit du moins tout ce qu’elle pouvoit, pour deſcouvrir s’il eſtoit vray qu’il fuſt deſja aſſujetty, comme elle en avoit ſouvent des ſoubçons : c’eſt pourquoy elle ne le voyoit ſans luy dire cent choſes qui l’? batraſſoient eſtrangement. Apres pluſieurs diſcours de l’heureux ſuccés de cette guerre, comme il n’eſt pas aiſé de s’empeſcher de parler de ce qui nous tient au cœur, la Princeſſe demanda à Perinthé s’il n’avoit pas fait grande amitié avec le Prince Abradate durant ce voyage ? car, pourſuivit elle, je vous trouve tous propre à eſtre fort de ſes Amis. L’amitié Madame, repliqua t’il, n’eſt pas comme l’amour, qui peut eſtre fort ſouvent entre perſonnes ineſgales : puis qu’au contraire, il faut pour faire que l’amitié ſoit parfaite, qu’elle ſe faſſe entre deux perſonnes dont l’age, l’humeur, & la condition, ayent aſſez d’égalité. Ainſi comme je ſuis tres eſloignée du Prince Abradate preſques en toutes choſes, je n’ay pas la temerité de pretendre à la gloire d’eſtre ſon Amy. Pour moy, dit la Princeſſe, ſi ce n’eſtoit que je croy que vous parlez ainſi par modeſtie, je m’eſtonnerois de voir dans voſtre eſprit une opinion ſi oppoſée à la mienne : car enfin je ſuis perſuadée, que pour l’amour elle doit abſolument eſtre entre perſonnes eſgales : mais pour l’amitié, cela n’eſt nullement neceſſaire : & je trouverois le deſtin des Princes bien malheureux, s’ils ne pouvoient jamais avoir d’autres Amis que ceux de leur condition qui ne ſe trouvent pas touſjours fort honneſtes gens, & qui ſont du moins en petit nombre. Comme voſtre raiſon eſt beaucoup plus eſclairée que la mienne, reprit Perinthe, il
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