Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/137

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qui le reçeut aſſez froidement. Mais comme il vit par un Balcon aupres duquel il eſtoit aveques luy, que la Princeſſe eſtoit arrivée, il le quitta bien-toſt apres : & fut où ſa paſſion & ſon devoir l’apelloient.

Panthée le reçeut avec beaucoup de civilité, mais avec un peu moins de franchiſe, qu’il n’en avoit veû dans ſes yeux lors qu’il l’avoit ſalûée en paſſant : touteſfois il eſtoit ſi aiſe de ſe voir aupres d’elle, qu’il ne fit pas d’abord une grande reflection la deſſus : & d’autant moins, qu’eſtant ſeul à l’entretenir, il s’imagina qu’elle en uſoit ſeulement ainſi, pour luy oſter la hardieſſe de luy parler de ſon amour. Il ne perdit pourtant pas une occaſion ſi favorable : car à peine les premiers complimens ſurent ils faits, qu’il ſe mit à luy exagerer la douleur qu’il avoit euë d’eſtre eſloigné d’elle ; la joye qu’il avoit de la voir, & de la voir plus belle qu’elle n’avoit jamais eſté : ſi bien, luy dit il, Madame, que s’il plaiſoit aux meſmes Dieux qui vous ont encore embellie, de vous avoir renduë un peu plus douce, je ſerois le plus heureux homme de la Terre ; j’oublierois toutes les peines que j’ay ſouffertes ; & je ne ſongerois plus qu’à vous adorer avec tant de plaifir que de reſpct. La Princeſſe entendant parler Abradate de cette ſorte, & connoiſſant bien par l’air dont il luy parloit, qu’il avoit en effet dans le cœur la meſme paſſion qu’il exprimoit par ſes paroles, ſe trouva l’eſprit bien partagé : d’un coſté, elle n’eſtoit pas marrie qu’Abradate l’aimaſt : & de l’autre sçachant ce que le Prince ſon Pere luy avoit dit, elle croyoit qu’il ne luy eſtoit pas permis de ſouffrir la paſſion de ce Prince. Cependant ſans ſe pouvoir determiner, elle prit un milieu : & ſans eſtre ny douce, ny inhumaine, elle meſnagea ſi bien cette converſation, qu’Abradate ne pût trouver