t’elle, je m’impoſeray ſilence. La Princeſſe ſe mit alors à preſſer Doraliſe de luy dire ce qu’elle avoit ſoubçonné ; neantmoins elle eut beau la tourmenter, elle n’en pût venir à bout. Elle donna pourtant mille aprehenſions à Perinthe : touteſfois il aprehendoit ſans ſujet, car la raiſon principale qui empeſcha Doraliſe de dire à la Princeſſe ce qu’elle avoit penſé, fut qu’elle craignit qu’elle ne trouvaſt pas bon qu’elle euſt pû ſoubçonner qu’un homme comme Perinthe, euſt oſé lever les yeux vers elle. Cette converſation ſe paſſa donc de cette ſorte : pendant laquelle Doraliſe vit tant d’agitation dans les yeux de Perinthe, que quelqu’un eſtant venu parler à la Princeſſe, elle s’aprocha de luy, pour continuer de luy dire qu’il avoit fortifié tous ſes ſoubçons. Quoy Doraliſe, luy dit il, vous euſſiez voulu que je vous euſſe laiſſé dire une choſe comme celle là à la Princeſſe du monde la plus ſevere, & qui euſt peut-eſtre pû s’imaginer que je vous aurois donné ſujet de penſer ce que vous me dittes ſans doute ſans le croire ! En verité (adjouſta t’il avec beaucoup de fineſſe) vous m’avez cauſé un battement de cœur auſſi fort, que ſi vous euſſiez eſté preſte de me mettre mal avec la perſonne que vous dittes que j’aime : Perinthe qui avoit eu loiſir de ſe remettre, dit cela avec un eſprit ſi libre en aparence, qu’il en embarraſſa Doraliſe : & luy perſuada en effet qu’elle s’abuſoit.
Voila donc, Madame, le point où en eſtoient les choſes en ce temps là : Abradate craignoit plus qu’il n’eſperoit : Mexaris au contraire, eſperoit tout, & ne craignoit preſques rien : & Perinthe ſans avoir ny crainte ny eſperance, s’eſtimoit le plus infortuné de tous les hommes, par la certitude infaillible où il eſtoit, d’eſtre toujours malheureux, quoy qu’il pûſt arriver.