Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/20

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pour quelque belle Perſonne. Araſpe rougit à ce diſcours : neantmoins Cyrus ne faiſant pas une grande reflection ſur le changement de ſon viſage, la converſation continua : & la Princeſſe Araminte prenant la parole ; pour moy, dit elle à Cyrus, je ſuis de voſtre opinion : mais pour la Reine, ſi elle ne vous contredit point, c’eſt aſſurément par complaiſance. Car enfin elle m’a deſja dit pluſieurs fois, qu’elle ne trouve pas grande conſolation à ſe pleindre ny à eſtre pleinte : & en effet elle renferme ſi ſoigneusement toute ſa douleur dans ſon cœur, qu’elle n’en parle jamais la premiere. Pour moy qui ne ſuis pas de ſon humeur, je luy ay raconte toutes mes infortunes : & il ne ſe paſſe point de jour, que je ne l’en entretienne. Il eſt vray, interrompit Panthée, que je n’aime pas trop à parler de ce qui me touche : je ne penſe pas meſme aux choſes paſſées : & l’avenir eſt ce qui occupe toute mon ame. Il me ſemble, adjouſta t’elle. que j’ay ſi peu de part à tout ce qui m’eſt arrivé il y a trois ou quatre ans, que je fais beaucoup mieux de ſonger ſeulement à ce qui me peut arriver. L’advenir eſt ſi obſcur, reprit la Princeſſe Araminte, que bien loin d’y ſonger, j’en deſtache ma penſée : de peur de me faire moy meſme des maux, dont peut eſtre la Fortune ne s’aviſera point. je voudrois bien, repliqua Cyrus, pouvoir faire ce que vous dittes : mais il ne m’eſt pas poſſible. Pour moy, pourſuivit Panthée, comme la crainte & l’eſperance font deux ſentimens qui partagent toute mon ame, & qu’aux choſes paſſées je ne trouve plus rien ny à craindre ny à eſperer, je n’y sçaurois arreſter mon eſprit. Encore eſt-ce beaucoup que d’avoir le cœur partagé entre l’eſperance & : la crainte, reprit Cyrus, car j’en connois qui craignent preſque tout, & qui n’eſperent preſques