Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/233

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à peine le vit elle, qu’elle luy demanda ce que Perinthe luy avoit dit, & ce qu’il luy ſembloit de ſon mal ? Madame, luy dit il, Perinthe m’a tant dit de choſes, & avec ſi peu de ſuitte, que je crois que ſon eſprit n’eſt pas moins malade que ſon corps : & pour moy je penſe qu’il a plus beſoin de conſolation que de remedes. Il me ſemble pourtant, dit elle, qu’il ne luy eſt arrivé aucun malheur : il eſt certain, dit il, qu’il ne paroiſt pas : mais il eſt peut— eſtre arrivé quelque bonheur à quelqu’un dont il eſt affligé. Perinthe, reprit la Princeſſe, n’eſt point envieux, & n’a meſme point d’Ennemis, ſi ce n’eſt Mexaris, de qui le bonheur n’eſt pas aſſez grand pour eſtre envié : quoy qu’il en ſoit Madame, adjouſta t’il, je crains que Perinthe ne meure, ſi vous ne prenez ſoin de ſa vie. Abradate dit cela d’une façon, qui fit connoiſtre à la Princeſſe, qu’il y avoit un ſens caché à ſes paroles : de ſorte que ne sçachant qu’en penſer, elle changea de diſcours. Le reſte du jour elle ſongea continuellement à ce qu’Abradate luy avoit dit : neantmoins n’oſant ny nous dire ce qu’elle penſoit apres qu’il ſut party, ny abandonner le ſoin qu’elle avoit commencé d’avoïr de Perinthe, à qui elle devoit tant ; elle pria Doraliſe de luy vouloir faire une viſite, & m’ordonna de l’y accompagner, eſperant d’eſtre mieux inſtruite à noſtre retour, qu’elle ne l’avoit eſte à celuy d’Abradate. Doraliſe & moy fuſmes bien aiſes de la commiſſion que la Princeſſe nous donnoit, c’eſt pourquoy nous nous en aquitaſmes en diligence, & meſme aveque joye : croyant effectivement que nous aurions aſſez de pouvoir ſur l’eſprit de Perinthe, pour l’obliger à ſe conſoler, & pour le faire reſoudre à faire ce qu’il pourroit pour vivre Mais Madame, nous nous trouvaſmes eſtrangement