Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il n’y avoit nul moyen de le ſecourir : de ſorte qu’apres l’avoir obſervé ſoigneusement, il connut que ſon cœur palpitoit encore : ſi bien que ſans perdre temps, il luy fit tous les remedes que la pauvreté du lieu où il eſtoit, luy pouvoit permettre de faire : & il les fit ſi utilement, que Mazare revint de ſa foibleſſe. Mais il en revint l’eſprit ſi peu à luy, que voyant Tiburte au chevet du lict ſur lequel on l’avoit mis, il luy demanda où eſtoit Mandane ? en ſuitte il prononça quatre ou cinq fois le nom d’Artamene : & confondant ainſi toutes choſes durant plus d’une heure, on voyoit clairement que la douleur troubloit ſi fort ſa raiſon, qu’il ne sçavoit ſi Artamene eſtoit ſon Rival ; ſi Mandane eſtoit vivante ou morte ; & s’il eſtoit vivant luy meſme. Mais à la fin Tiburte luy ayant parlé pour taſcher de remettre peu à peu ſon eſprit en ſon aſſiette ordinaire, il commença de voir les choſes comme elles eſtoient : & par conſequent de rentrer dans ſon premier deſespoir. Il avoit pourtant quelque conſolation, de voir Tiburte aupres de luy : qu’il avoit touſjours fort aimé : & qui s’eſtoit embarqué, ſans sçavoir preciſément le deſſein du Prince Mazare, qui n’avoit oſé le luy dire. Il eſpera meſme en le voyant, que peut — eſtre Mandane auroit elle pû ſe ſauver du naufrage auſſi bi ? que luy : mais il eſpera ſi foiblement, que l’on peut dire qu’il n’eſpera qu’autant qu’il faloit pour l’obliger à ſouffrir que l’on euſt ſoin de luy, & pour le forcer à prendre quelque choſe. Cependant Tiburte ne jugeant pas qu’il fuſt ſeurement ſi près de Sinope, & en un lieu encore où l’illuſtre Artamene eſtoit venu, & ou il pourroit l’envoyer querir, il tira le Maiſtre de cette Cabane à part, & le conjura, apres luy avoir ſauvé la vie, de luy vouloir encore