pour pleurer eternellement, la Princeſſe à qui j’ay fait perdre la vie. O malheureux Prince, s’eſcrioit il, ſi tu avois à trahir quelqu’un, que ne trahiſſois tu le Roy d’Aſſirie en faveur de ta Princeſſe ; & que ne la delivrois tu effectivement ? que ne la remettois tu entre les mains de l’invincible Artamene, qui ſeul eſtoit digne d’elle ? du moins elle t’auroit conſervé ſon eſtime & ſon amitié : & quand meſme tu euſſes deû eſtre toute ta vie le plus infortuné de tous les hommes, il le valoit beaucoup mieux, que d’eſtre ſon Raviſſeur. Inſensé que j’eſtois, adjouſtoit il, comment pouvois-je eſperer d’eſtre aimé, en faiſant une choſe ſi propre à me faire hair ? il faloit bien ſans doute que j’euſſe perdu la raiſon, pour pouvoir croire qu’en enlevant Mandane j’en ſerois aimé. N’avois-je pas un exemple illuſtre en la perſonne du plus Grand Roy de toute l’Aſie ? qui l’avoit enlevée inutilement : & qui n’avoit tiré autre avantage de cette violence, que celuy d’avoir aquis la haine de cette Princeſſe. Cependant je n’ay pas laiſſé de l’enlever : mais auſſi les Dieux m’en ont ils aſſez rigoureuſement puny. Si ma mort, adjouſtoit il, euſt pû ſatisfaire leur juſtice, j’aurois aſſurément pery au lieu d’elle : mais comme ils ont bien connu que la ſienne me puniroit beaucoup plus ſeverement, ils ont voulu me faire eſprouver le plus rigoureux ſuplice de la Terre. Voila donc, Madame, comment raiſonnoit le Prince Mazare : c’eſtoit en vain que Tiburte luy repreſentoit qu’il faloit ſousmettre ſon eſprit aux volontez des Dieux : car il luy demandoit une choſe qu’il ne pouvoit pas faire, tant ſa douleur eſtoit forte. C’eſtoit auſſi inutilement, qu’il taſchoit de le faire ſouvenir du temps qu’il avoit tant aimé la gloire, & de ce qu’il ſe devoit à luy meſme : l’
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