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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/437

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Apres que Cyrus eut ſatiſfait à tout ce que la dignité de ſon employ ; le beſoin des affaires ; la civilité ; la generoſité ; & la tendreſſe de ſon ame, pouvoient exiger de luy, en une pareille rencontre ; il voulut entretenir ſon cher Feraulas en particulier, & l’entretenir de Mandane : car il avoit sçeu par Orſane qu’il pouvoit l’avoir veuë ſe promener ſur le haut de la Tour où elle eſtoit captive. De ſorte que l’ayant fait apeller, il luy fit toutes les careſſes qu’un Prince amoureux pouvoit faire à un confident de ſa paſſion : & à un confident encore, de qui il avoit reçeu cent ſervices conſiderables, & cent conſolations dans ces malheurs. Il s’entretint donc aveque luy plus de deux heures, ſans pouvoir pourtant preſques rien aprendre de ſa Princeſſe : car Feraulas avoit veû Mandane de ſi loin, qu’il ne pouvoit pas tirer grande ſatiſfaction de ce qu’il luy en pouvoit dire. Mais l’amour a cela de particulier, qu’elle fait que ceux qui en ſont poſſedez, ne s’ennuyent jamais de parler d’une meſme choſe, pourveu que l’intereſt de la Perſonne qu’ils aimnent s’y trouve meſlé : c’eſt pourquoy quand Cyrus avoit aſſez parlé des derniers evenemens de ſa vie, il parloit encore des premiers, avec le meſme empreſſement, que s’ils fuſſent venus de luy arriver. Il eſt vray que ce jour là il n’avoit pas ; beſoin de chercher à s’entretenir de choſes fort eſloignées : puis que le retour du Roy d’Aſſirie, & l’arrivée de Mazare, luy donnoient aſſez d’occupation. De plus, la Lettre qu’il avoit receuë de Mandane, luy donnoit encore aſſez dequoy parler : ne pouvant s’empeſcher de trouver quelque choſe de difficile à ſouffrir, que cette Princeſſe luy euſt eſcrit ſi obligeamment pour Mazare. Touteſfois les dernieres paroles de ſon Billet, le conſoloient de toutes les autres : & quand il ſongeoit qu’elle luy permettoit de les expliquer le plus favorablement qu’il pourroit, il ſentoit une douceur dans ſon ame, plus aiſée : à imaginer qu’à dépeindre. Quoy ma Princeſſe, diſoit il, vous permettez à mes penſées d’interpreter vos paroles les à mon avantage ! mais sçavez vous bien divine Mandane, adjouſtoit il, juſques où ſe peut flatter un Amant ; & ne craignez vous point que je vous face dire ce que vous ne me direz jamais ? Ne penſez pas en me diſant que vous eſtes equitable & reconnoiſſante, renfermer la juſtice que vous me voulez faire, & la reconnoiſſance que vous voulez avoir, dans des bornes ſi eſtroites, que vous n’y compreniez que ce que j’ay fait pour vous delivrer : non non diune Mandane, ce n’eſt point là le ſens que je veux donner à vos paroles. Ne contez s’il vous plaiſt pour rien, ny les Combats que j’ay faits ; ny les Villes que j’ay priſes ; ny les Batailles que j’ay gagnées ; mais contez pour quelque choſe, la violente & reſpectueſe paſſion que j’ay pour vous. C’eſt de cela ſeulement, que je ſouhaite que vous me ſoyez obligée, & que vous me rendiez juſtice : ne contez donc point les perils que j’ay courus, ny les bleſſures que j’ay reçeuës : mais tenez moy conte des ſouſpirs que j’ay pouſſez, & des larmes que j’ay verſées, depuis que j’ay commencé de vous aimer. Enfin (adjouſtoit il encore, comme ſi elle euſt pû l’entendre) ſouffrez que le tranſport de mon amour, me faſſe interpreter ſi favorablement ce que vous m’avez eſcrit, que je puiſſe croire qu’en m’aſſurant que vous eſtes equitable vous voulez bien que je croye que vous m’aimez autant que je vous aime. Mais que dis— je ! (reprenoit il un moment apres, adreſſant la parole à Feraulas) ne ſeroit-ce pas une injuſtice que Mandane m’aimaſt autant que je l’aime ? ouy ſans doute, & c’eſt pourquoy pour adoucir un peu la choſe, ſouhaitons ſeulement que cela ſoit : & appellons grace, ce que nous avons apellé juſtice fort improprement. Pour moy Seigneur, interrompit Feraulas, je ne penſe pas que la Princeſſe Mandane face ce que vous voulez : car enfin vos victoires ne ſont pas moins