vous croyez que je n’ay rien de particulier à vous dire ? à quoy bon encore de détourner ſi ſouvent vos beaux yeux, afin de ne voir pas les miens, ſi vous ne craignez point d’y voir la paſſion que j’ay pour vous ? Enfin cruelle Cleodore, ſi vous ne sçavez point que je vous aime, voſtre procedé eſt deraiſonnable : & ſi vous le sçavez, il eſt injuſte & inhumain. Songez donc à vous, je vous en conjure : ou pour mieux dire ſongez à moy, & ne me mettez pas au deſeſpoir. Pout vous monſtrer, luy dit elle, que je ne veux pas vous deſobliger abſolument, je veux bien vous faire une declaration ingenuë, mais de grace, ne donnez pas plus de force à mes paroles, que je ne veux qu’elles en ayent. Ne craignez pas divine Cleodore, luy dit il, que je me flatte, quoy que vous me puiſſiez dire : puis que de l’humeur dont je ſuis, je voy touſjours mes maux plus grands qu’ils ne ſont en effet, & mes biens plus petits. Cela eſtant, reprit elle, je ne craindray donc point de vous dire que je vous eſtime infiniment : & que ſi j’avois à s’eſtre capable d’une foibleſſe, j’aimerois mieux que ce fuſt pour vous que pour aucun autre : Mais apres tout, il faut encore que je vous die, que pour voſtre bonheur & pour le mien, il eſt à propos que je ne vous aime jamais que mediocrement : car enfin ſi j’en eſtois venuë au point de vous dire que voſtre paſſion ne me déplairoit pas, j’en aurois une ſi grande honte, que j’en deviendrois tres melancolique : & comme on paſſe aiſément de la melancolie au chagrin, & que le chagrin eſt une grande diſpoſition à la colere, nous ſerions touſjours en querelle. C’eſt pourquoy pour accommoder les choſes, & pour faire que vous ne vous pleigniez point de mon injuſtice, je vay vous faire une propoſition, par laquelle je ne veux pas que vous faciez un
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/483
Apparence