Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/486

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donné trop de preuve de ſon affection, & diſoit quelle s’en repentoit : s’il eſtoit triſte, elle l’accuſoit de ne ſentir pas les graces qu’elle luy avoit faites, avec aſſez de tranſport de joye : de ſorte que quoy que pûſt faire ou dire Beleſis, il y avoit touſjours quelque petit chagrin entre eux. Cependant ils ne laiſſoient pourtant pas de sçavoir qu’ils s’aimoient, & de le croire fortement, quoy qu’ils ſe diſſent bien ſouvent des choſes qui euſſent pu faire penſer qu’ils ne le croyoient point du tout. Beleſis avoit pourtant d’aſſez douces heures : car enfin Cleodore ſouffroit qu’il luy eſcriviſſt, quand il ne la pouvoit voir : elle luy avoit auſſi donné ſon Portrait : & l’on peut dire enfin, que par l’inégalité de l’humeur de cette aimable Fille, il n’avoit jamais d’eſpines ſans fleurs, ny de fleurs ſans eſpines.

Voila donc, Seigneur, comment veſcut Beleſis, durant un aſſez longtemps : pendant quoy Hermogene & moy, ſans avoir de deſſein formé, nous divertiſſions à viſiter toutes les Dames indifferemment. Hermogene alloit pourtant moins chez Cleodore que chez les autres : afin, diſoit il, que ſon Amy ne luy pûſt pas ſouvent reprocher de luy avoir fait perdre l’occaſion d entretenir ſa Maiſtreſſe ſeule. Les choſes eſtant donc en ces termes, il arriva qu’une Sœur de la Tante de Cleodore, eſtant morte dans une Province où elle demeuroit il y avoit aſſez long temps, & n’ayant laiſſé qu’une Fille nommée Leoniſe, âgée de quinze ans, cette Fille vint à Suſe, & vint demeurer chez la Sœur de ſa Mere : par conſequent en meſme Maiſon que Cleodore. Lors qu’elle y arriva, Beleſis, Hermogene, & moy, eſtions allez faire un voyage de huit jours ſeulement : à noſtre retour nous fuſmes enſemble chez Cleodore,