tout ce qu’on peut endurer : à la fin je ſuis aimé : etlors que ſelon les aparences je vay eſtre heureux, le caprice de la Fortune veut que je cette de deſirer la poſſeſſion de Cleodore en ceſſant de l’aimer : & que tout le temps que j’ay employé à aquerir l’affection de cette Perſonne que je croyois devoir faire toute ma felicité, eſt entierement perdu, puis que cette affection ne me ſert plus à rien qu’à me rendre criminel & miſerable, & puis qu’il fâut recommencer de ſoupirer pour une autre. Cependant je ne sçaurois y trouver de remede : c’eſt pourquoy encore une fois, mon cher Hermogene, ſervez moy je vous en conjure. Mais encore, reprit il, en quels termes en eſtes vous avec Cleodore & avec Leoniſe ? Cleodore, reprit Beleſis, croit que je l’aime touſjours : mais pour Leoniſe, je ne luy ay encore parlé que des yeux. Je juge touteſfois pas ſes regards, qu’elle a entendu les miens : quoy, luy reſpondit Hermogene, Leoniſe entend ce langage & y reſpond ! ce n’eſt pas parce qu’elle y reſpond, reprit Beleſis, que je connois qu’elle l’entend : mais parce qu’elle aporte ſoin à n’y reſpondre pas. Mais comment, repliqua Hermogene, pourrez vous jamais oſer parler d’amour à Leoniſe ? ne craindrez vous point qu’elle ne vous reproche voſtre inconſtance ? & aurez vous meſme la hardieſſe, en voyant Cleodore, de dire à Leoniſe que vous l’aimez ? Pour moy Beleſis, je ne sçay pas comment vous penſez faire : mais j’advoüe que je n’entreprendrois pas ce que vous voulez entreprendre, quand meſme il iroit de ma vie. Si Cleodore demeuroit à l’autre bout de Suſe, la choſe ne ſeroit pas ſi difficile : mais aimer une Perſonne effectivement, & feindre d’en aimer une autre, dans une meſme Maiſon ; & une autre encore, que vous avez veritablement
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