n’aye sçeu que vous aviez celuy de Cleodore : il eſt vray, reſpondit Beleſis, mais il faut que vous l’ayez apris parla Sœur d’Hermogene : qui ne l’auroit jamais sçeu elle meſme, ſi je ne vous avois jamais aimée : car ce n’a eſté que par cette raiſon que l’en ſuis, devenu moins ſoigneux, & qu’il m’eſt arrivé de l’eſgarer une fois. Ha Beleſis, interrompit Leoniſe, je ne veux point que mon Portrait ſoit entre les mains d’un homme accouſtumé à les perdre ! Juſques icy, repliqua t’il, je n’en ay point encore perdu : puis que cela eſt, reprit Leoniſe, vous avez donc encore celuy de Cleodore ? Il eſt vray, dit il, & ce n’eſt que par ſon moyen que j’ay quelqueſfois le plaiſir de voir le voſtre, meſme en ſa preſence, Leoniſe ne comprenant pas alors trop bien ce que Beleſis luy vouloir dire, le força de s’expliquer : & de luy aprendre auſſi, comment il avoit eu ſa Peinture. Beleſis luy dit donc, que sçachant qu’elle s’eſtoit fait peindre, pour envoyer ſon Portrait à quelques Parent qu’elle avoit dans la Province qu’elle avoit quittée, il avoit ſuborné le Peintre : en ſuitte il luy fit voir que la Boiſte de Portrait qu’il portoit eſtoit double, quoy qu’elle ne le paruſt pas : & qu’ainſi la Peinture de Cleodore y eſtoit auſſi bien que celle de Leoniſe. De ſorte que par ce moyen, Beleſis regardoit bien ſouvent le Portrait de ſa nouvelle Maiſtreſſe, en des temps où la pauvre Cleodore croyoit que c’eſtoit le ſien : parce qu’elle en connoiſſoit la Boiſte ; & que de plus Beleſis, pour la mieux tromper, luy laiſſoit quelqueſfois effectivement voir ſon veritable portrait, afin qu’elle creuſt que c’eſtoit ce qu’il regardoit ſi ſouvent : car encore que Beleſis aimaſt éperdûment Leoniſe, il craignoit & reſpectoit encore Cleodore.
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/533
Apparence